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Les Paradis aveugles

+ d'infos sur le texte de Thu Huong Duong traduit par Huy Dong Phan
mise en scène Gilles Dao

: Entretien 1

Entretien avec Duong Thu Huong



Bernard Magnier : Comment est née votre passion pour l’écriture et la littérature ?


Duong Thu Huong : L’envie est venue très tard car dans mon enfance et mon adolescence, je ne pensais pas à la littérature. J’étais très sportive et je faisais beaucoup de compétitions dans lesquelles je représentais ma province. Je voulais être championne de ping-pong ou de gymnastique. J’ai même voulu apprendre à nager mais mon père me l’a interdit car le maître-nageur était un homme... J’ai arrêté mes activités sportives pour commencer à travailler et gagner de quoi manger pour ma famille. C’était au temps du régime socialiste, les rationnements étaient maigres et je devais aller chercher les poissons et les crevettes comme une vraie paysanne. Dans cette vraie pauvreté tous mes rêves d’enfant devaient mourir (rires).


Vous souvenez-vous de vos premières lectures importantes ?


Vers 15 ou 16 ans, j’ai découvert ma première lumière littéraire : Tchekhov puis Dostoïevski, Gogol, Léon et Alexis Tolstoï.


Que des Russes...


Rien que des Russes car nous sommes dans le Vietnam communiste, mais ma jeunesse se trouve éclairée par ces lectures. Surtout par Tchekhov dont j’aime beaucoup le théâtre, en particulier Les Trois Soeurs, La Mouette, Oncle Vania. À cette époque, je n’envisageais pas du tout d’être écrivain car c’est le moment où je me suis engagée dans la guerre comme animatrice culturelle. Nous faisions du théâtre ambulant et nous allions sur tous les fronts pour distraire les soldats et les victimes de la guerre. Tout cela n’a pas contribué à faire naître l’idée d’être écrivain.


À quel moment avez-vous ressenti le besoin d’écrire ?


Pendant la guerre, j’ai découvert des choses qui sont totalement contraires à ce que l’on m’avait appris. J’ai découvert que nous étions des animaux trompés par le pouvoir et que notre jeunesse s’était perdue à cause d’un pouvoir imbécile. Une vie perdue. Des millions de vies perdues. Une génération perdue. Cela a fait naître en moi un besoin de m’exprimer. Après la libération du sud, je suis allée travailler à Hué. Je voulais changer de métier et c’est là que j’ai commencé à écrire, des pensées, des réflexions que j’ai publiées dans des revues. J’ai été embauchée comme scénariste par les studios de fiction du Vietnam et je suis devenue une scénariste autodidacte. Quelque deux ans plus tard, j’ai commencé à écrire des nouvelles.


Dans les années 80 environ...


Oui et cinq ans plus tard j’ai publié mon premier roman, Au delà des illusions.


Vous venez d’évoquer les auteurs russes qui ont beaucoup compté pour vous, plus tard y a-t-il eu d’autres auteurs importants ?


Les auteurs français qui avaient été interdits pendant la guerre et que j’ai découverts plus tard lorsque l’interdiction de traduction a été levée et que nous avons pu découvrir Balzac, Victor Hugo, Anatole France, les poètes classiques, Lamartine, Baudelaire, Apollinaire et aussi les nouvelles de Maupassant, un auteur que j’aime beaucoup. J’ai vraiment été étourdie par ce monde littéraire que je découvrais. Ce sont tous des auteurs classiques, pour l’essentiel du XIXe siècle, vous n’aviez pas accès aux auteurs contemporains. Les contemporains comme Sartre ou Camus sont arrivés beaucoup plus tard, avec d’autres auteurs européens comme Remarque, Hesse, Kafka...


Où se trouve la source de vos romans ?


Je ne suis pas aussi douée que vous le pensez. Je ne suis pas assez douée pour aller chercher mes personnages dans ma tête. Tous mes romans s’appuient sur des histoires vraies, sur la réalité. Mes personnages sont ceux que je côtoie, les membres de ma famille, les gens avec qui je travaille...


Vous souhaitez établir une nette distinction entre vos essais politiques et vos oeuvres de fiction. Vos romans ne sont-ils pas aussi des romans... politiques ?


Je ne sais pas. J’écris d’une façon inconsciente. J’écris les histoires qui défilent dans ma tête et dans mon âme. Je vois tous mes personnages comme sur un petit écran de télévision et j’écris. C’est comme une sorte de script qui s’impose à moi.


Élaborez-vous un plan ? Un cadre sur lequel vous allez construire votre récit ou vous laissez-vous aller au fil de la plume ?


Non, non, non ! Pas de trame ! Pas de plan ! Pour mes romans comme pour ma vie ! Les personnages surgissent de ma mémoire, comme un film et je ne fais que noter...


C’est aussi simple que cela ?


Oui. C’est aussi simple que ça !


Retravaillez-vous ce premier... « script » ?


Non, pas beaucoup. J’écris et je corrige en même temps. Par la suite, je reviens assez peu sur ce premier travail.


Lorsque vous écrivez, vous imaginez-vous un lecteur ?


Non, non ! Jamais ! Je ne pense à personne !


À vous ?


Même pas à moi ! Je ne pense ni à moi ni à un lecteur. Je ne pense pas à l’édition. Je suis totalement obsédée par mon histoire, comme dans une sorte de transe. J’écris pour me libérer.


Vous écrivez n’importe quand ? N’importe où ?


Je n’écris pas quotidiennement comme beaucoup d’écrivains. J’écris quand je veux.


Vous êtes à Paris depuis quelques mois, pensez-vous que cette situation a changé votre façon d’écrire ?


Au Vietnam, je suis combattante professionnelle et écrivain amateur. Ici, je peux travailler comme une véritable romancière. Je peux me consacrer totalement à la littérature. C’est beaucoup mieux.


Est-ce que cela peut modifier votre écriture ?


Ce sera à vous d’analyser cela lorsque vous lirez ce que j’aurai écrit à Paris. Moi j’en suis incapable. Je travaille comme d’habitude. Je suis obsédée par ces histoires qui s’entassent dans ma tête et j’ai ici une bonne occasion de me libérer.


Votre roman Les Paradis aveugles va être adapté au théâtre. Est-ce une première ?


C’est la première fois.


Vous qui aimez l’oeuvre de Tchékhov, êtes-vous tentée par le théâtre ?


J’aime Tchékhov mais je n’ose pas écrire pour le théâtre. Je dois éviter les plus grands sommets.


Outre en français, dans quelles autres langues êtes-vous traduite ?


En espagnol, en anglais, en japonais, en hollandais, en finnois...
Je suis incapable de me rappeler toutes les langues.
C’est mon agent qui suit tout cela...


En russe ?


Autrefois, dans l’ancien régime.


Les Paradis aveugles, le titre est-il le même en vietnamien ?


Oui, c’est le même.


De quels « paradis » s’agit-il ?


Le communisme est toujours un paradis imaginaire, non seulement pour le petit peuple vietnamien mais pour la moitié de l’humanité.


Lorsque vous dites « paradis », il faut entendre « enfer » ?


Bien sûr ! Toutes les bonnes intentions qui veulent mener les gens au paradis les conduisent souvent en enfer.


{Pourquoi sont-ils « aveugles » ? }


Parce que la moitié de l’humanité est totalement aveugle. Comme le peuple vietnamien ! Je crois que la vie humaine est toujours comme ça.


Vous avez un jour déclaré « écrire est dangereux et cent fois plus dangereux pour une femme »...


La destinée de la femme c’est l’amour des hommes mais quand on écrit, on doit totalement se perdre dans la littérature et c’est pourquoi la vie privée en subit les conséquences. Un écrivain c’est une sorte de fou ou de folle !


Lorsque vous relisez vos...


Je ne relis jamais ! Ce qui est passé est passé. J’oublie tout de suite.


Cependant lorsque vous regardez votre passé de femme, de militante, d’écrivain, y a t-il des moments que vous regrettez ? Pensez-vous avoir fait des erreurs ? Pensez vous que ces erreurs ont été utiles ?


(rires) C’est une question importante. Les erreurs sont quelquefois utiles. Bien sûr. Les erreurs font naître la sagesse.


Quelles sont les erreurs qui ont fait naître votre sagesse ?


L’erreur de m’engager totalement avec la confiance d’une Vietnamienne traditionnelle qui pense que la chose la plus importante c’est de garder l’indépendance. Nous nous sommes battus mille ans contre les Chinois ! L’histoire est comme une sorte de comédie. Un peuple peut être trompé comme une personne.


Et si c’était à refaire... qu’est ce que vous referiez pas ?


Je ne regrette rien. Mon destin est celui-ci. J’ai cherché mon chemin de cette façon parce que mon destin m’y obligeait. Je ne regrette rien !


Comment envisagez-vous la suite ? Demain ? Après-demain ?


Je vis depuis très longtemps. Je peux mourir à n’importe quel moment. C’est ma force. Je suis toujours calme, même dans les moments extrêmes, même lorsque j’étais en prison. Je considère la vie comme un jeu.


Un jeu parfois dangereux ?


Bien sûr


Quel est votre statut aujourd’hui au Vietnam ?


Depuis 1990, on interdit la publication de mes livres. Le secrétaire général du Parti a même donné l’ordre de récupérer tous les exemplaires des Paradis aveugles mais la directrice des Editions des femmes vietnamiennes a dit que cette opération était impossible car les livres avaient déjà été vendus... Mon nom ne doit pas être cité dans des articles. Cela fait longtemps maintenant que je suis comme un fantôme dans mon pays.


Mais vous avez eu l’autorisation de sortir...


L’année dernière, j’ai reçu un prix littéraire en Italie et un groupe de personnes autour de l’ambassade d’Italie s’est battu pour récupérer mon passeport. Cette année, c’est l’ambassade de France qui est intervenue pour que je puisse sortir.


Vous imaginez le retour au Vietnam ?


Imaginer ? Non !


Vous l’espérez ?


Peut-être un jour mais aujourd’hui je suis totalement prise par mon prochain roman et mes personnages et je profite de l’occasion qui m’est offerte pour terminer ce travail. Je ne pense à rien d’autre. Je ne planifie jamais rien dans ma vie. C’est comme ça. Vous avez une personne totalement folle devant vous !


Votre prochain roman...


Non ! Excusez-moi mais dans toute ma vie, j’ai toujours refusé de parler des choses inachevées...


Propos recueillis à Paris, le 5 juillet 2006

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