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Les Interrompus

+ d'infos sur le texte de Vincent Ecrepont
mise en scène Vincent Ecrepont

: Notes de création

La mort d’un enfant fait partie de ces inacceptables trop souvent passées sous silence. Le théâtre, lieu par définition de la représentation de l’« inadmissible » se devait à mon sens de mettre des mots sur cette réalité. De fait, quand un enfant perd ses parents, on l’appelle orphelin mais quand des parents perdent leur enfant n’y a pas de nom pour désigner cela. Pas de mots pour nommer ce que peuvent ressentir ceux qui survivent à cet innommable-là. C’est un deuil que l’on a coutume de qualifier d’« impossible ». Autant pour les parents que pour les autres enfants vivants ou à venir. Le silence et la souffrance aidant, difficile de ne pas remplacer ou déplacer sur d’autres ce qui a été et ne sera plus.


Ces mots, je les ai recueillis auprès de parents qui ont vécu la mort d’un de leurs enfants puis les ai, en partie transposés dans les interrompus. Je me suis efforcé de déposer ce matériau afin de lui redonner vie dans une écriture que je voulais résolument distanciée. Passer de l’intime à l’universel était pour moi une priorité. Pas de pièce-reportage ni d’écriture biographique ; la page blanche comme le plateau ne sont pas des espaces d’épanchement narcissique encore moins thérapeutique, il y a d’autres endroits bien plus efficaces pour cela ! Mais si créer c’est parfois ré ouvrir des plaies appartenant au passé, c’est également ouvrir d’autres « possibles » pour ceux dont ces cicatrices sont encore vives.


La juste distance artistique pour recevoir une telle charge émotionnelle, je l’ai expérimentée la saison dernière avec les élèves de la classe d’art dramatique du conservatoire du 16ème arrondissement. Pour son dispositif Prises d’auteurs, la ville de Paris a en effet retenu cette proposition et l’a accueillie en résidence tout au long de la saison 2009/2010. En effet très vite j’ai ouvert les yeux sur les trois dangers qui guettaient au détour de cette écriture : le collage au réel, le pathos, et la déclaration de bons sentiments. C’est bien connu, on ne fait pas théâtre avec du « bien pensant » qui recherche consciemment ou non l’assentiment. Cette proposition théâtrale, dont le processus de création est assez proche de celui de ma première pièce, La chambre 100 n’a aucun message moral à délivrer. Elle ne délivre rien ni personne. Pas de morale de la question, pas de solution, au mieux quelques tentatives pour ceux qui sont restés là …


Le principe dramaturgique de cette écriture est très simple : inverser les rôles de ceux qui détiennent la parole. Au plateau, cinq enfants « interrompus » dans leur avenir transgressent l’ordre normal des choses et parlent pour la première fois à ceux qui leur ont survécu. C'est le monde à l'envers, les morts prennent la parole et les vivants sont assignés au silence. Cinq enfants disparus entre l’âge d’un jour et de 17 ans, Grand-Ouvert, Peut-Être, À-Peine, Petit-Tout et Tout-Autant font le chemin à l’envers et parlent à ceux qu’ils ont aimés, leurs parents, leurs grands-parents, comme leurs frères ou soeurs. Tels des funambules en équilibre entre la salle et le plateau, ils retissent le fil de la parole avec les leurs, avec comme seule intention celle d’alléger le poids de la culpabilité et de les aider à reprendre désir et légitimité à la vie. Ils ne sont ni au ciel ni sous terre, juste dans la tête de leurs proches. Si les vivants gardent à vie leurs morts en tête, pourquoi les morts ne resteraient pas, eux-aussi en lien avec ceux qu’ils ont connus ?


Mais que nous veulent-ils vraiment ces petits disparus ? Les voilà qui pensent à haute voix et parlent comme des grands. Ils tentent de se parler, mais c’est à nous qu’ils s’adressent. Car c’est au bord de nos vies qu’en écho, ils réfléchissent. Il faudra bien que les vivants leur survivent et que le temps du deuil s’accomplisse. Ils ne demandent que leur place dans les mémoires des leurs. À la hauteur de la vérité, pour ce qu’ils ont été, ni plus ni moins. Ils rompent le silence autant que les secrets qui parfois les entourent. « Dire » enfin, pour rompre le cycle des ressassements coupables, pour que les morts reposent et que les vivants continuent la vie sur leur autre théâtre.

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