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Les Bonnes

+ d'infos sur le texte de Jean Genet
mise en scène Guillaume Clayssen

: La mise en scène

LA DISTRIBUTION


La distribution dans cette pièce est plus que jamais le point de départ de la mise en scène. Elle a un rôle sémantique immédiat. Pour ma part, j’envisage de travailler sur une distribution qui creuse plusieurs écarts d’âge. Car il me semble que l’inégalité des âges peut renforcer cette inégalité si fondamentale dans la pièce qu’est l’inégalité des apparences. C’est ainsi que je justifie une certaine liberté dans ma manière de distribuer les rôles, liberté non arbitraire puisque Genet lui-même avait émis le souhait que les deux soeurs notamment ne soient pas d’un âge trop rapproché. La comédienne qui joue Madame est la plus jeune - 25 ans environ. Elle doit être très belle et jouer avec beaucoup de légèreté et de gaieté. Toutes les répliques qui, dans la pièce, soulignent que Madame est plus âgée que ses deux employées, peuvent être dites avec ironie afin de mettre davantage en valeur l’inégalité foncière qu’il y a entre elles. L’actrice qui joue Claire a un âge intermédiaire entre celui de Madame et celui de Solange. Très belle au début, comme pourrait l’être Madame quinze ans plus tard, elle perd de son éclat, de sa belle apparence au moment de l’arrivée de sa maîtresse. L’âge intermédiaire de Claire, fait qu’elle peut être ou la grande soeur de Madame ou la petite soeur de Solange, ce qu’elle est effectivement dans la pièce. Solange, elle, est jouée par une actrice d’une cinquantaine d’années. Tous ces écarts d’âge visibles doivent donner l’impression d’avoir d’un côté une Madame hors du temps, de la matière, de l’action, et de l’autre deux bonnes vouées au travail, au vieillissement, à la haine de soi et des autres.
Ce parti pris d’une distribution aussi hétérogène révèle, je crois, combien cette pièce est en définitive une tragédie des apparences.


LE JEU


« Le jeu théâtral des deux actrices figurant les deux bonnes doit être furtif…les actrices ne jouent pas selon un mode réaliste…Que les comédiennes jouent. Excessivement. » La manière si complexe et si subtile avec laquelle Genet décrit comment jouer Les Bonnes, confirme la pertinence théâtrale et humaine de ce questionnement que m’inspire cette pièce.
Pour y parvenir le mieux possible, j’effectuerai un travail sur la voix. C’est par le volume et le timbre de celle-ci que le spectateur peut entendre et croire en ce théâtre si subtil, si paradoxal. Pour conserver cette aura de solitude et de folie intime dans laquelle sont plongées Claire et Solange, les comédiennes qui les incarnent devront être imperceptiblement soutenues par des micros.


L’ESPACE : LE SPECTATEUR INCARCÉRÉ DANS UNE BOÎTE DE PANDORE


A partir de l’expérience carcérale, Genet a construit un univers poétique nourri d’imaginaire, de jeu, de folie et d’ambiguïté. Cette expérience troublante qui consiste à trouver dans un espace clôturé, l’espace infini de nos rêves et de nos fantasmes, doit devenir très concrètement celle du spectateur. Le public qui vient assister aujourd’hui aux Bonnes ne peut être simplement au spectacle. Pour approcher la force subversive du théâtre de Jean Genet, il faut inventer une écriture scénique qui déplace totalement le spectateur. Le théâtre de Genet est transgressif parce qu’il déborde de toutes parts. Il faut judicieusement penser ce débordement pour mettre en scène avec impertinence Les Bonnes. Il serait dès lors insatisfaisant que, lors de la représentation de la pièce, le public soit face à la scène. Celle-ci doit comprendre également l’espace où se trouvent les spectateurs. Le sentiment pour le public d’être prisonnier d’un grand jeu, d’un imaginaire intime et monstrueux, est essentiel. C’est pourquoi nous avons imaginé que le prolongement de la scène à l’espace où se trouve le public, se concrétise notamment par un système de lumières qui éclaire la salle de manière mystérieuse et progressive. Les murs qui entourent le public sont couverts de tulles au travers desquels par un jeu lumineux d’opacité et de transparence sont mis à nu les éléments du décor, tous ces objets-totems appartenant au monde étrange et intime des deux bonnes. Ainsi confiné, le public est immergé dans l’imaginaire inquiétant et jouissif de Claire et Solange. Chaque spectateur participe à sa manière au drame étonnant, à la folie théâtrale qui ensorcelle ces deux bonnes.
Cette ouverture sur l’intime de la pièce qui est aussi un cloisonnement à l’intérieur de cet univers de fiction, marque physiquement et symboliquement l’endroit où se situe dans cette mise en scène l’oeil du spectateur, un endroit moins confortable que le simple face à face habituel scène-salle, un endroit où cet oeil ne peut jamais se sentir vraiment extérieur.
Sur la scène, d’autres tulles sont fixés aux murs afin de permettre non seulement d’unifier tout l’espace mais aussi, à certains moments, de couvrir cet espace d’images vidéo dont la projection correspond à l’imaginaire des bonnes. Ces rideaux, lorsqu’ils sont dépouillés de toute image, ont un double effet paradoxal sur le spectateur, celui de le mettre à distance de ce qui se passe sur le plateau mais aussi celui de métamorphoser son regard qui devient plus conscient, plus rationnel. Ainsi le spectateur peut prendre un certain recul et avoir un oeil plus lucide sur l’univers dément dans lequel il est replongé l’instant d’après.
Dans ce dispositif, la projection vidéo associée au son plonge donc bien le public dans les rêves inavouables de ces deux bonnes. Intégré dans ce petit théâtre intimiste et monstrueux, le spectateur refait l’expérience paradoxale qui a conduit Genet à l’écriture : un corps enfermé qui s’ouvre subitement à un imaginaire et à un désir sans limites. Apparaît alors toute l’ambiguïté entre le réel et l’irréel, le vrai et le faux, qui sont au coeur de cette oeuvre théâtrale.
Finalement l’espace des Bonnes qui enserre le public est comme une boîte de Pandore dans laquelle ce même public est incarcéré. De cette boîte noire vont surgir des corps, des voix, des sons, des images inattendues, conduisant magiquement le spectateur à comprendre de manière sensorielle cette dérive folle de Claire et Solange.« Furtif », qui étymologiquement veut dire « voleur », est le premier mot qu’emploie Genet au début de son texte « Comment jouer Les Bonnes ».Tout ce dispositif scénographique est là pour intensifier ce mot d’ordre du poète et accomplir ainsi tout ce que cette écriture vient génialement voler à notre âme bien pensante et endormie. Car ne nous y trompons pas, Les Bonnes est une pièce qui questionne notre conscience dans ses recoins les plus intimes.


LES COSTUMES ET ACCESSOIRES


Les costumes et les accessoires participeront en partie de cette ambiguïté. En fond de scène se trouve, à moitié caché derrière un tulle, un mur de vêtements et d’objets confectionnés dans le même esprit que les oeuvres d’Annette Messager. Cette artiste travaille sur les mythologies individuelles et explore l’ambivalence de l’enfance, le rapport magique au monde, le fantasme et le fantastique, en proximité avec une tradition populaire de l’art. Par l’emploi de matériaux qui appartiennent à l’art pauvre, tels des peluches, des morceaux de tissus, des crayons de couleur, des traversins, etc., cette artiste confectionne des structures relevant du talisman, de la relique ou de l’ex-voto populaire, dans une optique qui se veut à la fois protectrice et inquiétante. C’est dans cet univers magique et quotidien que j’imagine Claire et Solange. Les costumes et les objets qui occupent, tel un mur, le fond de scène, ont été retravaillés et rendus monstrueux après avoir appartenu à l’origine à Madame. Ils ont été fétichisés par les deux bonnes qui peuvent ainsi croire vivre une vie qu’elles n’ont pas, une vie qui est à la fois l’objet de toute leur abjection et de toute leur fascination.

Guillaume Clayssen

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