: Note d'intention
LES BONNES OU LA TRAGÉDIE DES APPARENCES
Les Bonnes est la pièce la plus jouée du théâtre de Jean Genet. C’est une oeuvre pourtant minimaliste. Comme dans une tragédie classique, tout y est unité : le temps, l’espace, l’action. Trois personnages seulement interviennent dans ce thriller théâtral. Pourquoi alors tant de mises en scène pour une oeuvre, en apparence, si simple ? L’unité de cette pièce est un trompe-l’oeil magnifique. Chaque réplique, chaque moment de jeu, peuvent être lus de mille manières différentes. A la surface de l’oeuvre, tout semble classique, clair, mais dès que le regard et l’imaginaire du lecteur ou du spectateur la creusent, naissent toutes sortes d’interprétations possibles. L’intensité de la fable, la densité de l’écriture de Genet, le mystère de ses personnages, rendent la lecture et la mise en scène des Bonnes inépuisables.
Mais vers où aimerais-je aller dans ce texte profondément baroque et apparemment classique ?
L’INTIME ET LE MONSTRUEUX
L’oeuvre de Jean Genet a pour lieu de naissance l’univers carcéral. C’est dans ce tout petit espace coupé du monde qu’est la prison et qu’il connut à plusieurs reprises dans sa jeunesse, que Genet découvrit l’immensité de l’imaginaire et du rêve. Enfermé entre quatre murs, c’est là qu’il se mit à écrire et rencontra la force subversive de la
poésie.
Ce rapport étrangement harmonieux entre un
espace physique très confiné et un espace
mental sans limites, constitue le fil conducteur de ma future mise en scène des Bonnes. Claire et Solange dans la pièce craignent en permanence
que leur cérémonie secrète ne soit vue du
voisinage. Elles s’enferment dans la chambre de Madame pour y jouer et y imaginer le meurtre de celle-ci. Les deux bonnes inventent, à l’intérieur
d’un espace clos, un monde infini où leurs
fantasmes prennent corps.
Cette intimité monstrueuse que nous donne à voir Genet, cette solitude à deux qui met en scène toutes sortes de pulsions socialement condamnables, constitue en soi un enjeu
théâtral fort mais ô combien délicat à représenter. Car contrairement à l’image un peu stéréotypée
d’un théâtre de Genet où la théâtralité part dans tous les sens, il me semble que le jeu et
l’imaginaire ont chez cet auteur, et particulièrement
dans Les Bonnes, une fonction extrêmement rigoureuse et complexe dont le but n’est pas de nous éloigner de nous-mêmes mais de nous rapprocher de ce qu’il y a en nous de plus intime. Genet fabrique un univers baroque et barré pour raconter la vie dans ses secrets les plus inavouables. Ainsi Claire et Solange sont-elles si éloignées de nous ? Ou, au contraire, n’expriment-elles pas une folie qui nous habite tous ? C’est cette
seconde voie que je choisis pour ma mise en scène. Je veux montrer que le jeu de ces deux bonnes n’est en rien superficiel et relève bien au contraire d’un processus intime et universel.
La monstruosité qui s’exprime dans leur
imaginaire théâtral est aussi la nôtre. Que nous soyons entre quatre murs, coupés totalement du regard des autres et de la société, et alors, tout comme Claire et Solange, nous mettons en scène nos monstres. Pour Genet, le théâtre n’est
intéressant que s’il devient ce lieu vivant où
apparaît notre intimité monstrueuse : « je vais au théâtre afin de me voir, sur la scène (restitué en un seul personnage ou à l’aide d’un personnage multiple et sous forme de conte) tel que je ne saurais ou n’oserais me voir ou me rêver, et tel pourtant que je me sais être. »
C’est donc à cette question passionnante que je désire répondre en mettant en scène Les Bonnes : comment concilier avec une extrême vérité l’intime et le monstrueux ? Comment montrer sans la dénaturer, sans la forcer, cette solitude humaine dans laquelle nos rêves les plus inavouables se font jour ?
Guillaume Clayssen
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