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Les Aventures de Sindbad le marin

+ d'infos sur le texte de Agathe Mélinand
mise en scène Laurent Pelly

: Conversation entre Agathe Mélinand et Laurent Pelly sur Les Aventures de Sindbad le Marin

Laurent Pelly : Qu’est-ce qui t’a donné envie d’écrire un spectacle sur Sindbad le Marin ?


Agathe Mélinand : J’ai eu envie d’écrire ce spectacle la première fois que j’ai lu le livre, il y a quatre ans. La première fois, ce qui m’avait surtout fascinée, c’était l’énergie qui se dégageait de ce grand livre d’aventures, je me suis dit que c’était l’occasion d’écrire un spectacle extrêmement dynamique et rêveur en même temps. C’est venu de là. Tu dois te souvenir, d’ailleurs, qu’à l’époque j’étais venue te voir en disant : « J’ai trouvé quelque chose, il faut absolument qu’on en fasse un spectacle ».


LP : Oui, bien sûr, je me souviens. Et pourquoi ? Est-ce que le sujet du voyage est quelque chose qui te touche particulièrement ?


AM : Oui, évidemment. Mais, en même temps, il y a des voyages très différents… On avait tous les deux déjà approché le voyage, plus ou moins raccroché au voyage, quand on avait travaillé sur les Hymnes homériques


LP : Et sur La Famille Fenouillard aussi dans un autre genre


AM : Mais là ce qui me fascinait c’était un autre univers que j’aime énormément, celui du conte. Sindbad, c’est le voyage mais avant tout le récit d’un voyage. On peut évidemment, à ce sujet, faire le rapprochement entre Ulysse et Sindbad. Pour moi, Sindbad est un Ulysse marchand, ils sont comme des cousins.
Et toi, qu’est-ce que t’a évoqué ta première lecture des Aventures de Sindbad le Marin ?


LP : Moi ce qui me touche particulièrement c’est le conte évidemment, mais aussi qu’on ne sache jamais si c’est de l’imaginaire ou du réel. Tout est basé sur des choses plutôt réelles, géographiquement, historiquement… mais c’est tellement énorme, le conteur brode tellement que… tout d’un coup, il ouvre sur la féerie, la magie et l’imaginaire. Et puis ce qui me plaît beaucoup, à travers cet imaginaire, c’est la fabrication d’un spectacle par des images qui font rêver, l’idée que nous avons eue d’engager des acteurs mais aussi des circassiens, et de raconter mais en même temps de montrer, ne pas montrer, cacher, et le mystère bien sûr qui flotte sur tout ce récit, le fantastique, la peur jubilatoire qui traversent toutes les aventures, c’est vrai, c’est presque comme une odyssée…


AM : Revenons un peu à l’idée du conte. Le merveilleux, les choses improbables, c’est l’essence même de toute façon du conte dont le point de départ est presque toujours quelque chose de réel, comme quand Alice quitte le quotidien de sa sieste pour entrer dans le terrier du lapin… Le conte c’est le merveilleux qui transforme et transcende la réalité. L’oiseau Rokh, par exemple, qu’on trouve dans un des voyages, est un oiseau géant qui existe effectivement à Madagascar, et là, tout d’un coup, cet oiseau géant que sans doute des voyageurs avaient vu, devient cet oiseau qui va faire s’envoler Sindbad pour le sortir de la vallée de diamants. Et puis il y a aussi le raccrochement à tout ce qui est la réalité de cette époque : les marchands, la route de la soie, les caravanes, les caravansérails, et ce voyage incroyable de notre Marin dans l’Océan indien, en Indonésie, à Madagascar, et jusqu’en Chine et au Japon. On part donc d’une situation réelle, un marchand qui voyage, et de son but réel : gagner de l’argent.


LP : Ce que je trouve émouvant aussi c’est qu’on ait l’impression que c’est la première fois que les gens voient toutes ces choses fantastiques … comme tu le dis de l’oiseau Rokh. Il y a aussi ces personnages asiatiques, ces étrangers aux coutumes bizarres, étonnantes ou barbares… C’est comme si Sindbad le Marin ou Sindbad le Terrien découvraient ces hommes, ces paysages, ces coutumes, c’est très touchant. On parle de l’origine, de la découverte, de la première fois…


AM : Quand tu parles de Sindbad le Terrien, il faudrait peut-être expliquer qui c’est… D’abord, Sindbad le Marin ne fait pas partie des Mille et une nuits, c’est la première œuvre qu’a traduite Antoine Galland au 18ème siècle, le premier grand traducteur en français des Mille et une nuits. Ensuite, on a intégré par erreur Les Aventures de Sindbad le Marin à l’intérieur des récits de Shéhérazade… Mais il y a un autre livre qu’on a découvert très récemment, il y a une trentaine d’années, et qui a été traduit par Khawam : Sindbad le Terrien. Ce qui est intéressant par rapport à ces deux personnages, Sindbad le Marin et Sindbad le Terrien, c’est que dans Les Aventures de Sindbad le Marin, Sindbad raconte à un autre Sindbad, qui est Sindbad le portefaix. Il y a donc le Sindbad riche : le marin, et le Sindbad pauvre : le portefaix. On dit parfois que ce Sindbad le portefaix, c’est en fait Sindbad le Terrien qui a eu des revers de fortune. J’ai donc choisi de mettre en scène Sindbad le Marin et Sindbad le Terrien, de travailler sur le double, l’échange de personnages, la gémellité, la fraternité, chose très présente de toute façon dans l’œuvre. Sindbad le Marin le dit à Sindbad le Terrien : « Tu es pour moi comme un frère ».


AM : Bien. En quoi est-ce que tu penses que ce spectacle est un spectacle absolument pour tout le monde, c’est-à-dire pour tout le monde à partir de 8 ans ? A quoi est-ce dû ?


LP : Parce que l’aventure et le merveilleux s’adressent à tout le monde. Le conte de Sindbad s’adresse aux enfants, s’adresse à tous. Dans le texte, de toute façon, il y a suffisamment de niveaux de lecture différents pour que cela puisse s’adresser à tout le monde. Est-ce que toi tu as pensé que ça pouvait s’adresser à des enfants ?


AM : J’ai toujours pensé que ce qui était intéressant avec ces contes très anciens, que ce soit L’Odyssée, Les Aventures de Sindbad le Marin ou Les Mille et une nuits, c’est qu’ils s’adressaient à des êtres humains qui avaient un sens du merveilleux extrêmement développé, bien loin de tout matérialisme. Ils avaient une faculté d’émerveillement beaucoup plus forte que celle qu’on peut avoir aujourd’hui.


LP : Une naïveté ?


AM : Si tu veux. Ou une part d’enfance. Les adultes de ces temps avaient sans doute une faculté d’émerveillement qu’on peut comparer à la faculté d’émerveillement de l’enfance. C’est pour ça que j’ai toujours pensé que ce conte pouvait s’adresser à la fois à des enfants et à des adultes. En tout cas, ce qui est sûr, c’est que je n’ai jamais pensé que ce serait un spectacle « pour » les enfants, j’ai toujours pensé, comme tu dis, à des niveaux de lecture différents, qu’on ait 8 ans ou 88 ans. D’autre part, j’aime beaucoup quand tu mets en scène des contes. C’est un autre sujet, mais je me suis toujours dit « Si on fait ça tous les deux, on peut apporter quelque chose ». Car il faut que nous aussi, on puisse apporter quelque chose à cet univers. Qu’est-ce que tu penses de ça ? Pourquoi est-ce que tu aimes et que tu sais mettre en scène des contes ? C’est ta part d’enfance à toi aussi ?...


LP : Ma part d’enfance… je n’en sais rien. Je pense plutôt que c’est à la fois ma part d’enfance et à la fois mon amour de la machine de théâtre. Pour moi, la machine de théâtre ce n’est pas forcément la machinerie, c’est faire rêver, évoquer, faire imaginer des choses monstrueuses, énormes, très complexes, mais pas forcément avec beaucoup de moyens. Et avec très peu de choses souvent on peut faire en sorte qu’on ait peur, qu’on soit impressionné, qu’on soit grisé par un mouvement ou par presque rien. Je pense justement que la présence des acrobates dans le spectacle - c’est la première fois qu’on travaille avec des acrobates - va beaucoup nous aider. Et puis je pense qu’eux sont très excités par l’idée de raconter cette histoire avec leurs possibilités physiques. Là, on n’en est qu’au démarrage du travail, c’est une chose qu’on va fabriquer avec les interprètes. La place du corps dans le récit est, de toute façon, primordiale.


AM : On peut revenir une minute sur le procédé de l’écriture, par rapport aux acteurs justement. Ils sont sept, comme les sept voyages de Sindbad. Sindbad raconte à Sindbad le Terrien ses sept voyages pendant les sept jours de la semaine, le sept étant un chiffre magique… comme le septième ciel où s’est rendu Mahomet. Je suis donc partie de l’idée d’un groupe de sept personnes qui doivent conter, raconter Les Aventures de Sindbad le Marin. Ensuite, quand on a travaillé tous les deux, on a trouvé cette idée d’engager quatre circassiens, qui nous ont d’ailleurs fascinés quand on les avait auditionnés… moi j’adore, de toute façon, les interprètes qui ont une force, des possibilités et un engagement physique exceptionnel. C’est extrêmement motivant pour nous deux, je pense, de travailler avec des artistes qui ont ces aptitudes physiques, comme finalement Sindbad les a. Sindbad, qui se retrouve abandonné sur une île ou perdu dans la mer, qui s’accroche à un baquet en bois et qui résiste pendant une semaine… enfin, il a beaucoup de ressources…


LP : C’est le moins qu’on puisse dire. Dans le déroulé du récit, et dans le déroulé du spectacle, je pense effectivement qu’il faut qu’on alterne avec le merveilleux, l’imaginaire, l’engagement physique et la puissance des mots. Il y aura des moments où il n’y aura rien ou très peu de choses, ou juste les têtes, les bouches ou les voix. Le conte c’est les mots.


AM : Oui, on se disait toujours quand on a travaillé qu’il y avait trois niveaux dans Sindbad le Marin : le récit, l’écoute et ce qui se joue. Mais Sindbad, c’est avant tout un conte et il est merveilleux.

08 avril 2011

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