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Les Arpenteurs

+ d'infos sur le texte de Stéphane Olry
mise en scène Stéphane Olry

: Protocole d’écriture

L’expérience des arpenteurs est réelle. Leurs comptes-rendus sont autant de documentaires, témoignages sincères et directs de leurs voyages.
Ce que j’écris témoigne d’abord de ma sensibilité à leurs récits. Je suis au centre d’une toile ténue me transmettant les mouvements des émotions remuant les arpenteurs depuis les territoires qu’ils traversent.
Depuis plusieurs mois, je tiens le journal complet de la production et de l’écriture du projet Les Arpenteurs. Je note toutes les aventures petites ou grandes, graves ou dérisoires qui fondent tout projet artistique mais qui, d’ordinaire, constituent la face immergée de l’iceberg : rendez-vous institutionnels, réunions de travail de l’équipe, échanges avec les arpenteurs, avec Corine Miret, etc. Ce journal d’une production est ponctué par le premier jet des textes, monologues, ou dialogues que m’inspirent les récits des arpenteurs.
Je fais parler les routes, les maisons, les arbres, les animaux, les hommes, les femmes et les fantômes. On dit d’un paysage qu’il est éloquent : je lui cède donc la parole. Ainsi en es-til des objets les plus usuels. À l’heure de lire les budgets que m’envoie l’administratrice de La Revue Éclair, je retarde l’instant où il me faudra aborder ce monstre hérissé de chiffres et de doutes. Alors, lorsque j’entends ses mugissements du fond du tiroir, je le sors et lui demande : « Bon, ça suffit, Budget, qu'as-tu à me dire, encore ? »
Je note sans sourciller ses paroles.


Ainsi donc, on passe sans transition de la transcription du discours du responsable de la communication d’une méga-décharge, au dialogue entre l’arpenteur et les mirabelles au pied d’un arbre au bord d’une piste cyclable, aux confidences de la Nationale 20.
Cet animisme résolu, cette confusion organisée entre le réel, la fiction, le rêve ou la fantaisie, cette manière de démocratie directe en écriture où chaque élément est à égalité avec les autres, est une stratégie me permettant, je l’espère, de déjouer les pièges des révérences obligées, des hiérarchies évidentes ou latentes entre les éléments ou les personnes rencontrées le long du chemin.


Se constitue jour après jour une marqueterie de textes brefs témoignant du tremblement de l’immédiat, de l’improvisé, du présent de l’aventure. Ce corpus volontairement disparate me permettra de disposer d’une base de travail pour l’interprétation du spectacle au sens large.


Tous les mois, je fais parvenir une version dactylographiée de ces cahiers à Jean-Christophe Marti (arpenteur, compositeur, dramaturge) qui me tient lieu de premier lecteur. Il rédige un discours en réponse à mes envois, qu’il délivre lors d’une rencontre mensuelle. Nous discutons ensuite. Mon expérience polygraphique – assez semblable à celles qui pouvaient rassembler des hommes de lettres ou de sciences du dix-huitième siècle – se nourrit de ces échanges.


Avec les interprètes du spectacle, nous avons aussi des rendez-vous durant lesquels ils me lisent des extraits des textes en cours d’écriture. Ces séances me permettent de corriger, adapter, augmenter, supprimer les textes ainsi essayés. Le journal est donc lui aussi en mutation permanente : le présent y précise, exacerbe, pondère le passé.


En juin 2011, à mon retour de Barcelone sur les traces de Pierre Méchain, un rendez-vous dramaturgique essentiel a eu lieu. Pour la première fois, à la Chartreuse de Villeneuve lez Avignon, les sept arpenteurs ont été rassemblés. Nous avons partagé durant ce conclave de trois jours les questions qui nous ont agitées durant nos arpentages respectifs. Le but de ce cénacle était de déterminer les lieux de mémoire sensible de nos voyages : sont-ils singuliers ? partagés ? communs ? partageables entièrement ou partiellement ? Quels sont les montagnes, les rivières, les lacs, les grands axes, les chemins de traverse des paysages imaginaires, émotionnels que nous avons traversés ?


Après le départ des arpenteurs, l’aventure des arpentages sur le méridien était close.


Les artistes ont alors succédé aux explorateurs à La Chartreuse. Avec Jean-Christophe Marti, nous avons élaboré un plan du spectacle, tentant de rendre compte de l’expérience polyphonique que constituent les arpentages. Nous avons expérimenté cette forme d’écriture en contrepoint, où chaque voix autonome apparaît et se fond dans un ensemble choral, avec les interprètes du spectacle lors d’une lecture publique donnée en conclusion de notre résidence.


Ce texte en cours d’écriture se précise depuis lors au fur et à mesure des lectures que j’organise avec les interprètes, afin d’ajuster la partition de chacun à sa voix spécifique.


Nous élaborons pragmatiquement un dispositif de travail permettant aux interprètes de disposer d’un protocole pour naviguer entre textes lus, textes appris, textes improvisés.


S’écrit ainsi un projet polyphonique dont l’écriture est appelée à croître jusqu’à la première.


Une histoire qui se raconte elle-même devant des spectateurs.

Stéphane Olry

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