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Le Village des sourds

+ d'infos sur le texte de Léonore Confino
mise en scène Catherine Schaub

: Entretien avec Léonore Confino et Catherine Schaub

Propos recueillis par Pierre Notte

Léonore, ce village Okionuk, il est né comment et où ?


Léonore : Vivant dans un espace urbain et la plupart du temps en « intérieur », j’ai voulu partir loin, très loin. Ce village polaire imaginaire, c’est une petite porte vers l’exact inverse de ce que je vis : un horizon à perte de vue, un froid extrême, aucun commerce et des villageois qui se réunissent toutes les nuits autour d’un grand feu central pour manger du poisson et se raconter des histoires.


Qu’est-ce qu’on y trouve ?


Léonore : J’avais envie de raconter la chaleur humaine par moins quarante degrés, un lieu où les conditions climatiques obligent à faire attention aux ressources, à fonctionner ensemble, où la survie rend hyper vivant. Puis j’ai voulu imaginer comment ce village, pur et coupé du monde pourrait réagir à l’arrivée d’un catalogue Ikéa...


Catherine, sur scène, qui est-là ? Youma et l’homme ? Seulement ? Ils se racontent au public ?


Catherine : Youma est une jeune fille sourde de 14 ans. Elle partage la scène avec Gurven, un ami de son grand- père avec qui elle a une relation affective puissante. Ensemble, ils transmettent leur histoire : il parle avec sa voix, elle signe avec son corps. Ils ont décidé de quitter un temps leur région polaire, la Paliouquie, pour aller de ville en ville, de théâtre en théâtre, afin de partager leur histoire, et nous alerter sur les dangers qui nous guettent...


Dans quel espace sont-ils ? Comment communiquent-ils ?


Catherine : Sur scène, un illu, une sorte d’igloo, est posé sur un îlot blanc, enneigé, pur. Tout autour, s’étend un sol noir brillant qui nous rappelle les écrans de nos smartphones, prêts à noyer et engloutir toute tentative de résistance... Youma et Gurven convient les spectateurs à une veillée. Ils font démarrer un feu dans l’illu qu’ils alimentent avec leurs mots... Pour rien au monde la flamme ne doit s’éteindre. Sinon ils peuvent mourir de froid. Quand Gurven se trompe, Youma corrige : elle tient à ce que cette histoire soit racontée avec le plus de justesse possible, c’est presque une question de survie. Le langage est à la fois parole et corps, et grâce au feu qui nous relie, les mots produisent de la chaleur humaine.


Léonore, c’est un conte, qu’on nous raconte ? Une fable philosophique ? Politique ? A-t-elle une morale ?


Léonore : Dans cette histoire, on retrouve les éléments cruels et fantastiques du conte : le pouvoir d’attraction du marchand, son catalogue magique qu’il distribue à tous, et surtout le pacte avec les villageois qui acceptent de payer les produits du marchand avec leurs mots... Mais à travers ces métaphores, on peut identifier des glissements qui nous sont familiers : l’appauvrissement de notre langage, l’énergie et le temps que nous sacrifions aux objets plutôt qu’aux relations humaines, les tensions qui naissent de la simplification de la pensée, du manque de mots... Mais s’ils nous mettent en face du pire, les contes ne nous laissent jamais sombrer : ils permettent aux héros de renverser le cours des choses par leur singularité. Ici, la force de Youma, c’est sa surdité et sa maîtrise de la langue des signes. C’est sa différence qui fait qu’elle échappe au pacte du marchand quand tout son village tombe dans le piège.


Catherine, Léonore, ce texte a pour héros et sujet la langue des signes... Mais pourquoi ? Et qu’est-ce qui vous a amenées à elle ?


Léonore : La langue des signes nous éblouit parce qu’elle peut dire toutes les nuances, mais de manière physique. Elle oblige donc à regarder l’autre, à vraiment vouloir comprendre ce qu’il cherche à exprimer. Si vous n’êtes pas concentré avec quelqu’un qui signe, c’est foutu et votre interlocuteur vous démasque immédiatement. L’écoute entre les acteurs, on s’en rend compte au fil de nos créations, c’est ce qui nous touche le plus Catherine et moi.


Catherine : L’attention de Jérôme Kircher pour Ariana-Suelen Rivoire qui est sourde, le fait qu’il doive être dans une « écoute » absolue avec elle, nous bouleverse aussi bien dans les répétitions qu’en représentation. Il se joue quelque chose de très généreux entre ces deux. Plus généralement, nous avons voulu traiter le plurilinguisme comme une richesse. Le fait que Youma parle une autre langue que celle de son village, une sorte de langue de résistance, lui permet de conserver la langue d’Okionuk, d’échapper à l’effacement de la culture orchestrée par le marchand.

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