: De l’autre côté du rideau, petit entretien avec Eugène Ionesco
le 13 janvier 1963, propos recueillis par Paul- Louis Mignon
Est-ce que le thème de la conscience de la mort est essentiel chez vous ?
Oui, c'est une question qui hante tout le monde quotidiennement. Cette pièce est une sorte de libération de cette angoisse, et de cette libération devraient en profiter, je l'espère, les spectateurs.
Comment avez-vous eu l'idée de ce roi ?
Pour moi c'est l'homme, l'Homme universel.
En réalité pour moi tout homme est une
sorte de roi de l'univers. L'univers lui
appartient jusqu'au moment ou tout
s'écroule.
C'est lui-même qui disparait et tout disparait
avec lui, ce royaume énorme qui est le
monde et qui est le nôtre tant que nous
sommes là.
Pourquoi le roi a-t-il deux femmes ?
Il est bigame, mais nous avons tous deux
épouses : la vie et la mort.
Autour du roi et de ses deux femmes il
fallait aussi un choeur représenté ici par
Juliette la servante, le garde (témoin de l'Histoire), et le médecin qui porte en lui la conscience
collective objective.
Donc au lever du rideau le roi apprend qu'il va mourir dans une heure et demie.
En une heure et demie il s'effraie, il n'y croit pas, comment devrait-il mourir sans qu'il l'accepte luimême ? Il a peur, ensuite il se met en colère, il est vexé, puis sa peur se mêle à la résignation, à la nostalgie et petit à petit il abandonne son royaume, il abandonne les siens, il est abandonné par les siens, il s'oublie lui-même et dépouillé de tout, nu, il peut mourir.
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