: Entretien avec Arthur Nauzyciel
Comment s’est déroulée votre rencontre avec la romancière Marie Darrieussecq autour de la création du Musée de la Mer à Reykjavik en 2008 ?
Elle s’est faite pour la traduction de la pièce danoise ORDET de Kaj Munk. Je ne voulais pas travailler avec un traducteur de théâtre parce que je savais que ça allait me mettre dans des rails plus conventionnels où les gens fonctionnent beaucoup par habitude. Pour moi, dans la traduction, on inscrit déjà quelque chose de la mise en scène car le théâtre, c’est une langue, c’est du rythme. Je pensais travailler avec quelqu’un qui ait le sens du rythme comme un écrivain. J’avais envie de travailler avec une femme de ma génération. Je n’avais pas lu TRUISMES à l’époque de sa sortie et je l’ai découverte grâce à son roman WHITE dans lequel je retrouvais mes propres obsessions : la glace, la banquise, les fantômes, les mondes visibles et invisibles.
Le Théâtre National d’Islande à Reykjavik m’a invité à venir y faire une création. J’ai pensé que dans ce pays, il fallait écrire quelque chose qui n’avait pas encore été écrit. Ça m’est venu en me promenant dans les paysages, dans la lave. Tout ça m’évoquait Jules Verne, la science-fiction. Ça commençait à me raconter des histoires. J’avais en même temps le sentiment d’être relié à un passé très archaïque. Les Islandais parlent une langue qui n’a pas évolué depuis le XIIe siècle. Ils ont en même temps une aspiration vers l’ailleurs, vers l’avenir qui est très forte. Je sentais que suite à la traduction d’ORDET, Marie Darrieussecq commençait à avoir une autre vision du théâtre et je lui ai proposé d’écrire une pièce avec pour contrainte qu’elle soit écrite pour être jouée en islandais et créée en Islande. Elle a accepté parce qu’elle aussi avait envie qu’on fasse évoluer notre travail ensemble, et - je ne le savais pas à l’époque - parce qu’elle est très attachée à ce pays où elle est venue souvent. Nous sommes partis sur l’idée d’une pièce qu’on pourrait imaginer écrite par des gens dans cinquante ans, comme une espèce de projection dans l’avenir qui est en train de devenir LE MUSEE DE LA MER.
Nous avons souhaité travailler avec le grand poète islandais Sjon dont l’un des romans, LE MOINDRE DES MONDES, d’une grande beauté, vient enfin d’être traduit en français. Sjon, également parolier de la musicienne Björk, travaille à l’écriture/traduction du MUSEE DE LA MER en islandais. Nous dialoguons régulièrement, lui, Marie et moi, pour qu’au-delà du sens, nous puissions être toujours dans un rapport d’échange sur la construction de la phrase, le choix des mots, le rythme, les niveaux de langue. Comme si s’élaboraient en même temps un texte français et islandais.
Ce projet est lié à votre présence à Reykjavik à l’occasion de "Pourquoi Pas ? – Un printemps français en Islande" en 2007 et au cours duquel des rencontres décisives ont eu lieu...
La création du MUSEE DE LA MER était impossible dans les délais de "Pourquoi Pas ?". Le Théâtre national a alors pensé présenter un de mes spectacles pour me permettre de rencontrer le théâtre, la troupe, le public, observer son fonctionnement, avant d’y faire une création. Cette démarche est pour moi tout à fait logique et cohérente.
Le choix de la directrice du théâtre, qu’a priori je
n’aurais pas fait, s’est porté sur ma première création
en 1999, LE MALADE IMAGINAIRE OU LE SILENCE DE
MOLIERE, qui mêle textes classique et contemporain,
aborde les questions de la transmission, de la
mémoire, de l’intime. Elle a su me convaincre en
m’expliquant que la troupe du Théâtre National était
constituée de descendants de ceux qui l’ont créée.
Ces acteurs connaissent mal le théâtre classique
français. En Islande, Molière est très peu et mal
monté. C’était donc judicieux de débuter par un
classique français lié à un texte contemporain, c’està-
dire qui crée le lien entre passé, présent et avenir,
qui parle de la famille, de ce qu’est le théâtre
français, de cette mémoire du théâtre français, tout
en plaçant le texte dans une lecture innovante. Je vois
les textes classiques comme des souvenirs du futur, à
la fois caducs et morts, mais dans lesquels il faut se
replonger avec des artistes de maintenant pour
inventer notre théâtre de demain.
Parallèlement, Kira Kira, une musicienne islandaise
qui travaille avec le musicien Johann Johannsson et le
collectif d’artistes du label Kitchen Motors, m’a proposé de recréer L’IMAGE de Beckett dont elle
avait entendu parler, que j’avais créé en 2006 à
Dublin dans le cadre du Centenary Beckett Festival,
avec la comédienne Anne Brochet, le danseur Damien
Jalet et le scénographe Giulio Lichtner. J’ai demandé à
Kira Kira d’en composer la musique - et nous avons
également invité la danseuse Alexandra Gilbert à
nous rejoindre. Nous avons joué dans une ancienne
fabrique de tabac, un endroit magnifique avec de
grandes baies vitrées qui donnaient sur la mer.
Parallèlement encore, j’ai rencontré le musicien Bardi
Johannsson, que j’admire beaucoup, à qui j’ai
proposé de créer le son et la musique du MUSEE DE
LA MER. On a commencé à travailler ensemble et
depuis il m’a par ailleurs parlé d’un projet d’opéra
pop baptisé RED RIVER écrit justement avec Sjon et
dont il m’a proposé de faire la mise en scène.
J’ai aussi organisé des lectures publiques des textes
de Marie Darrieussecq au Théâtre National avec les
acteurs islandais du MUSEE DE LA MER et Brynhildur
Gudjonsdottir que j’avais intégrée dans LE MALADE
IMAGINAIRE OU LE SILENCE DE MOLIERE. C’est un
projet sur lequel travaille également la danseuse et
chorégraphe Erna Ormarsdottir.
J’ai eu envie d’inviter pour cette création les artistes
que j’admire en Islande qui, comme moi, ont envie de
faire confiance à la rencontre. LE MALADE
IMAGINAIRE, L’IMAGE et les lectures de textes de
Marie Darrieussecq étaient un moyen de préparer LE
MUSEE DE LA MER, d’inscrire le travail et les
collaborations dans la durée.
J’ai un parcours de presque deux ans à Reykjavik et je
n’ai pas l’impression d’y faire quatre projets mais un
seul. C’est un ensemble. C’est toute une histoire qui
est en train pour moi de s’y écrire à travers les
moyens du théâtre. C’est ça que j’ai envie de
défendre. C’est que toutes ces rencontres se
cristallisent autour de la création d’une pièce de
théâtre.
Vous évoquez souvent la notion de déplacement en parlant de votre travail...
J’ai toujours inscrit l’étranger dans mon processus de
travail. C’est mon moteur. J’essaie cependant de
trouver un équilibre entre ici et l’étranger. J’ai
toujours besoin pour travailler d’être dans un
déplacement, pas juste physique ou spatial, mental
aussi. D’éprouver le texte dans un contexte. J’ai
besoin d’être dans l’entre-deux et surtout dans
l’inconnu. L’entre-deux m’inspire et pour chaque
projet je dois réinventer un mode de production et de
création différent. C’est ce qui va m’exciter, me
rendre inventif. Le processus, le vécu que je vais
mettre en place, sont le sujet même de mon théâtre
qui lui-même témoigne de ce processus et de ce vécu.
Lorsque je travaille en France, il faut que j’inscrive le
déplacement à l’intérieur du projet en faisant appel à
des acteurs avec lesquels je n’ai pas l’habitude de
travailler, avec un styliste plutôt qu’un costumier,
avec un autre metteur en scène plutôt qu’un
décorateur, comme sur ORDET. Je choisis un projet
parce que je sens que la fiction que je vais pouvoir
mettre en place pour le réaliser m’intéresse et que je
ne peux pas présupposer de l’objet qui va naître. J’ai
même aujourd’hui un certain plaisir à provoquer la
rencontre en réunissant sur des projets des gens qui
vont travailler pour la première fois pour le théâtre,
ou avec lesquels je vais travailler pour la première fois
parce que notre rencontre va nous mener vers un
spectacle qui sera le fruit de ces rencontres, de ce
déplacement et d’un contexte. C’est une méthode de
travail qui m’est nécessaire pour l’instant. C’est aussi
intéressant pour les gens qui le font que pour ceux
qui le reçoivent.
Quel lien faites-vous entre ce souci de l’étranger et du déplacement et votre propre histoire familiale ?
Mes grands parents parlaient le yiddish et n’ont jamais vraiment parlé le français. Pourtant, je les comprenais même si je ne pouvais pas traduire ce qu’ils me disaient. Ça a dû développer chez moi un certain sens de la langue, du rythme, de comment le son fait sens au-delà du mot. Du coup, j’ai du plaisir à travailler dans des langues étrangères et à traduire des textes français dans des langues étrangères. Je le fais d’ailleurs beaucoup.
Vous pouvez préciser ?
J’ai parfois un plus grand sentiment d’inscription dans
quelque chose en travaillant ailleurs qu’en France.
Dans une langue étrangère, je retrouve une
familiarité, un état d’enfance. Un sentiment
d’abandon rassurant. Je m’abandonne dans une
langue étrangère. À partir du moment où je trouve un texte que j’arrive à inscrire dans un territoire, je
construis quelque chose et j’habite là. J’habite le
texte que je monte dans le contexte dans lequel je le
monte. C’est le socle à partir duquel je peux travailler
pour ensuite faire revenir les projets en France.
Propos recueillis par Laure Naimski pour Culturesfrance en 2007
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