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Le Moche

mise en scène Lionel Armand

: La Pièce

le texte de marius von mayenburg n'a jamais autant résonné qu'aujourd'hui. C'est un texte contemporain dans sa forme littérale, mais aussi dans sa thématique puisqu'il soulève la véritable question de l'identité et de la falsification même de la nature, aussi bien dans un contexte familial/privé/intime que professionnel. L'envie de monter ce texte résonne avec la continuité de mon parcours de metteur en scène dont les formes textuelles et scéniques doivent s'inscrire dans l' espace temporel qui est le notre, je veux dire que nous parlons de ce qui se passe ou de ce qui peut éventuellement se passer, comme pour anticiper les événements envisageables. auteur, je suis sensible aux formes d'écritures qui laissent une place à l'image et qui proposent aux spectateurs d'être actifs. C'est un dialogue qui doit s'engager entre le spectacle et le public, une discussion à part entière, pas une vulgaire dictature de la parole et de l'image mais bel et bien une réflexion commune sur notre société actuelle et sur ce qu'elle peut devenir à moyen terme. Un dialogue social, communautaire sur un sujet politique et d'actualité. La comédie satyrique de mayenburg traite le sujet avec une finesse provocatrice. La saison dernière, par l'intermédiaire de la pièce de david harrower, Des couteaux dans les poules, nous avions établi une discussion avec le public sur l'importance de l'accès à la mémoire et à la métaphore et des conséquences que cela engendre quand l'humain subit ce qui l'entoure par manque d'éducation.


Avec Le moche, c'est cette connaissance acquise qui laisse imaginer un monde effrayant. Les valeurs ont changé de place, elles se situent en dehors de toutes morales conscientes.
Malheureusement, le processus est inscrit dans notre histoire. depuis la nuit des temps, dans la plupart des cultures, l'humain a besoin sans cesse de dépasser ses capacités psychiques, et de comprendre comment fonctionne son propre corps et afin de satisfaire sa curiosité, grâce aux progrès technologiques, il poursuit son chemin jusqu'à se rapprocher d'une illusoire perfection, et ce, jusqu'à se trahir lui-même, intellectuellement et physiquement. L'homme est un animal qui vit en meute et pour rester dans la communauté, il use des moyens les plus pernicieux. L'apparence a toujours été une valeur indispensable à la socialisation si bien que, par l'intermédiaire des progrès de la médecine, alors qu'au fil des décennies l'espérance de vie augmente, nous repoussons la fatalité éphémère de la vie donc la différence. La sublimation de la jeunesse devient un rêve possible et l'acte chirurgical n'est plus de la science fiction. Il se développe à tous les coins de rue dans des cliniques vantant les mérites d'un présent absolu. De nouveaux corps apparaissent, transformés de la tête aux pieds et deviennent les références de générations réceptrices d'images virtuelles.


J'aime particulièrement l'écriture de Marius Von Mayenburg que j'ai découvert au festival d'Avignon en 2001 avec Visage de feu mis en scène par Oskaras Korsunovas. Le moche transperce le thème étouffé de la discrimination par la beauté. A grands coups de scalpel, il pénètre dans l'extraordinaire illusion des hommes. Celle de défier la nature. bien qu'aux Etats Unis, le sujet semble être traité de façon pratiquement banale, en France, le sujet reste encore tabou. Cependant, et de plus en plus souvent, nous pouvons apercevoir ailleurs que sur nos écrans pollués de célébrités fabriquées, des individus lambda qui ont eu recours à la chirurgie plastique non pas pour des raisons médicales mais pour des raisons esthétiques. il n'est donc pas rar de croiser des visages aux lèvres pneumatiques, aux pommettes gonflées, débarrassés des pâtes d'oies, des rides et autres particularités par quelques coups de bistouri et d'injection d'acide hyalurique et de toxine botulique.


Cette pratique qui devient populaire, engendre par le nombre de concourants, des clones répondant aux critères canoniques d'une société en divergence avec elle-même. Nul n'est infaillible et la nature est reine. Quand le rythme effréné de notre temps et l'appât du gain remplacent le serment d' Hippocrate, le geste des médecins-dieux dérapent, les implants sont rejetés, des monstres fabriqués de toutes pièces nous apparaissent. Le sujet du moche est indéniablement lié à une politique dictatoriale du beau que les publicitaires et les médias n'hésitent pas à user, et qui ont manifestement une influence néfaste dans tous les secteurs de l'entreprise. On ne compte plus les procès d'intentions sur la laideur décrétée, sur la manière de s'habiller, sur la morphologie des candidats à l'embauche sans oublier que si laideur et beauté sont liées, elles sont associées au concept du bien et du mal : la laideur physique est presque toujours synonyme de la laideur morale. On retrouve ces comparaisons dans des textes classiques et aussi divers que Cyrano de Bergerac de Rostand, les contes de Perrault, La Belle et la Bête de Jeanne-marie Leprince de Beaumont...etc.


La dualité entre l'esprit et l'apparence est bien un point de conflit dans les oeuvres plus classiques, à la différence près que dans Le moche, Lette, victime d'un délit de faciès, refuse de subir la discrimination et malgré l'intelligence qui le caractérise, n'hésite pas à recourir à l'abandon total de son propre visage pour plaire et réussir pleinement sa carrière. La morale disparaît et le romantisme de la bête disparaît pour le bonheur de la société. Il devient un produit consommable. Les ouvrages de Rosenkranz et de Jean-François Amadieu constituent le corpus des références sociologiques qui agrémenteront une dramaturgie claire et dont le sens élémentaire doit viser l'opinion publique. A l'heure où les ONG montrent du doigt les dérives industrielles sous prétexte de préserver la planète de son système naturel, que l'on chasse à grands coups de bottes l'agriculture intensive et que l'on prône les labels biologiques, l'humain, toujours en complète contradiction, n'accepte plus le corps que lui offre la nature. Ainsi, puisque la science permet de rectifier les imperfections, le naturel est chassé par la chimie, l'apparence banalement falsifiée pour le plaisir des yeux. sous prétexte de satisfaire des envies psychologiques, la médecine apporte des solutions accessibles à tout un chacun et inscrit l'altération comme pratique quotidienne.


Bien entendu, la comédie de Marius Von Mayenburg demeure une comédie d'anticipation. Aujourd'hui encore les greffes du visage balbutient et chaque cas demeure une expérience. encore destinées à des vocations plastiques, nous ne sommes pourtant pas si loin de voir s'ouvrir ce genre de pratique à des fins purement esthétiques et donc mercantiles. Lette, le personnage de Marius Von Mayenburg dénonce cela avec un humour grinçant, comme un signal de détresse d'une société en recherche d'identité.

Lionel Armand

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