Quelle idée bizarre aujourd’hui d’être passionné de théâtre, non ? Ne faut-il pas être un peu fêlé, pour s’enfermer dans des lieux sombres, un peu poussiéreux, et, durant des heures, rabâcher les mêmes mots, refaire les mêmes gestes ? Ne faut-il pas être totalement masochiste, pour essayer de comprendre, puis de traduire et reproduire dans l’espace la lumière et la pensée d’un auteur, à travers le souffle, la voix, le mouvement ? D’un auteur russe de surcroît ! Enfin ne faut-il pas être complètement barré pour vouloir partir avec des fondus de la même espèce, en tournée pendant un an, pour soir après soir, refaire la même chose ?

C’est pourtant ce vieux rêve de la roulotte qui rassemble les principaux protagonistes du Manchot. Ca, et sans doute la possibilité d’accéder à d’autres rêves plus personnels et moins avouables… Mais avant de parvenir à ce graal, il faut d’abord surmonter l’épreuve de l’audition, être choisi, adoubé, par l’auteur qui se trouve être le producteur par la même occasion. Pourvu que tout se passe bien, de façon professionnelle et harmonieuse… Comme nous sommes dans une comédie, évidemment les obstacles ne manquent pas, et les choses ne se dérouleront pas comme espéré.

Car, oui, évidemment, c’est une comédie qu’a écrit Gaël Mercier, et comme telle, elle en offre les ressorts traditionnels : des situations burlesques, des dialogues enlevés, des réparties qui fusent, et des personnages tous plus ou moins abimés, bancals, jamais loin de se ramasser.

Mais dans le même temps, elle sort des sentiers habituellement rebattus de la comédie « adulescente-trash » de l’air du temps. Il y a une pointe de doux amer dans l’écriture, et comme souvent, dans les mélanges de saveurs, trouver l’équilibre des ingrédients est difficile. C’est ici que ma participation a pu trouver son sens. C’est donc en qualité de goûteur que je me suis associé à ce projet.

Accompagner ces jeunes comédiens, avec lesquels j’ai déjà partagé tant de plaisir dans le travail au long des 3 années de formation passées à l’Atelier Théâtre Frédéric Jacquot, m’a semblé comme une évidence. La détermination de l’auteur à raconter son histoire à sa façon tout en restant ouvert aux suggestions, la qualité des interprètes, dont je savais qu’ils feraient tout pour habiter leur personnage complexe, contradictoire parfois, ont été autant de facteurs pour m’embarquer avec eux. Qu’importe la destination, pourvu que le voyage soit beau. Et je n’ai aucun doute là-dessus, il le sera.

Erick Vayn