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Le Laveur de Visages

+ d'infos sur le texte de Fabrice Melquiot
mise en scène Thibault Fayner

: La Pièce

« Le monde sous notre monde il affleure, et on doit faire avec ce qui est révélé, sans craindre de ne pas comprendre. Comprendre, des fois, c’est une révélation. »


Cette phrase pourrait résumer Le Laveur de visages de Fabrice Melquiot. Il s’agit bien d’une pièce qui met en balance le monde tel qu’il se donne au regard du passant pressé, le monde tel que régi par les puissants, et le monde invisible, souterrain, le monde plus mystérieux qui est comme l’homme : sensible, fragile, impalpable.


Et c’est un homme qui est passé d’un monde à l’autre qui nous parle tout au long de ce monologue. Samuel Simorgh. Un ex trader qui a tout perdu et qui en a profité pour se réinventer voleur de voiture. Avant il « tir(ait) les courbes vers le haut ». Maintenant il emprunte des voitures pour les retaper et pour les remettre à leur place juste pour voir la tête du type : « Je vais te rendre ta bagnole - comme un outil dont on a eu besoin et on le rend - à l’endroit exact où je l’ai empruntée. »


Entre l’ancien Samuel et le nouveau il y a la faillite. La faillite manifestée par une erreur boursière. Mais c’est avant tout la faillite d’un monde, celui dans lequel il avait ses repères, la faillite d’un monde qu’il a épuisé et qui l’a épuisé. Il était au bout du rouleau. Il n’avait plus rien à apprendre de ce monde. D’ailleurs au fond il ne vivait pas vraiment : « Les naissances parfois c’est comme les bombes, on les retarde. Je suis né de la dernière pluie. »
D’accord son monde a fait faillite, d’accord Samuel est un homme en faillite. Et après ? Qu’y a-t-il à glaner dans le gouffre de pauvreté, cette fois tout à fait matériel, dans lequel le précipite le chômage. Car Samuel a perdu son boulot. Car Samuel a perdu ses copains. Et ses habitudes bourgeoises, c’est du passé.


Dans cette détresse que faire ? C’est par un pur réflexe de survie que Samuel se met à voler des voitures. C’est sans y penser, comme s’il était dépassé par les événements qu’il se met à crocheter des portières et à dénuder les fi ls sous les volants. C’est dire comme il touche le fond absurde des choses, et des objets matériels en particulier. La voiture, tout un symbole : « Une voiture c’est presque une maison, et une maison c’est presque son propre corps. Pas facile de piquer une baraque tandis qu’une bagnole. Tu touches au corps. Tu touches à l’autre. »


En volant, lavant puis restituant un véhicule à son propriétaire Samuel commet un événement inhabituel. Un événement qui est absurde ou pour le moins incompréhensible et qui provoque en retour une réaction absurde : « La deuxième fois j’ai emprunté une japonaise blanche, quand le type l’a retrouvée, à l’endroit exact, dans une petite rue pas très passante, il l’a embrassée, il a embrassé sa bagnole et il a pleuré, je te jure. » L’action qu’entreprend Samuel joue avec le sentiment de perte et de deuil. En restituant ce qui était perdu Samuel ressuscite. Le laveur de visage est aussi le faiseur de miracles. Certes il s’agit de petits miracles qui ont plutôt à voir avec de la supercherie. Mais par la multiplication de ces micro-miracles Samuel tente de bouleverser les logiques habituelles. Et de restituer au monde un peu de son mystère.


Lorsque s’ouvre la pièce, Samuel Simorgh lave la voiture d’Emeline. Cette voiture il ne l’a pas choisie par hasard, il l’a choisie parce qu’elle appartenait à une ancienne petite amie : « J’ai fait une liste d’interlocuteurs. J’ai barré tous les noms. Sauf le tien. ». Et la présence de cette voiture constitue pour Samuel une métonymie d’Emeline dans un nouveau retournement paradoxal de l’identité homme / voiture.


Ce qui n’est pas sans suggérer une forme d’érotisme. C’est un peu comme si en lavant la voiture, il faisait la toilette d’une vieille amante.


D’ailleurs il s’adresse à Emeline de tout près. Ce monologue c’est une confidence qu’il lui fait. Et au fond de cette confidence on entend : je ne suis plus l’homme que j’ai été, je ne suis plus l’homme qui n’a pas su t’aimer autrefois. Désormais je suis l’homme des oiseaux, désormais je suis l’arpenteur du monde qui affleure sous notre monde. C’est un rendez-vous. Ce monologue c’est un rendez-vous avant le rendez-vous. Le vrai rendez-vous (décevant en outre) aura lieu lorsque Samuel restituera effectivement la voiture à Emeline. Pour l’instant c’est un rendez-vous dans le vestibule, c’est une répétition de rendez-vous, mais au fond c’est le rendez-vous tel qu’il aurait du se passer si le monde était à la hauteur de Samuel. Un rendez-vous diff éré. Samuel prend de l’avance sur le réel. Car il a bien compris que les règles du jeu, on en fait ce qu’on veut.


Au cours de ce rendez-vous, au cours de cette toilette par véhicule interposé, Samuel va confier à cette femme en qui il a toute confiance, le parcours qu’il a effectué depuis qu’il a fait faillite, depuis qu’il est un homme en faillite.


Ce parcours constitue la trame du monologue. Il s’effectue en dix étapes titrées sous l’énigmatique appellation de « visages » : le visage en faillite, le visage de mon nom, le visage de mes mains, le visage des aurochs, le visage des saisons, le visage de Chiara, le visage des adverbes, le visage d’Emeline, le visage des autres. Dix étapes ou autant de travaux pour un Hercule des temps modernes.

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