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Le Grand sommeil

+ d'infos sur le texte de Marion Siéfert
mise en scène Marion Siéfert

: L'hybride : l'enfant grande

Plutôt que de nous laisser submerger par le départ de Jeanne, nous avons décidé d’en tirer partie et de nous engouffrer dans tout ce que son absence nous permettait de dire, de faire et d’explorer. Nous avons eu à cœur d’intégrer tous les bouleversements que nous avions traversés, afin de partager cette interrogation avec les spectateurs: « qu’est-ce que faire une pièce avec une enfant, aujourd’hui, en France ? » À partir du matériau documentaire accumulé pendant les six mois de répétitions avec Helena et Jeanne, j’ai écrit un monologue composite, où la voix de Jeanne se mêle à celle d’Helena, aux incursions de son père et de la médecin, et à ses références musicales. Dans ce texte, j’ai décidé de me plonger dans le monde de cette enfant que je connais très bien.
Loin de dresser un portrait psychologique, je m’attache à travailler la multiplicité des identités qui composent cette personne, ses fantasmes et ses peurs, ses confessions et ses délires.
Jeanne n’est pas une : elle est double, triple, multiple. Elle est elle-même, mais aussi sa partenaire, son amie imaginaire, sa fille idéale, qui vit sa vie en quadruple. Le texte est un montage qui part de la confession d’une enfant, pour plonger dans son imaginaire, dans le monde nocturne de ses rêves et dans la réalisation de ses délires. Il suit les sauts et les ruptures énergétiques de Jeanne, ses jeux de langage, et est composé pour s’articuler au travail chorégraphique que poursuit Helena. C’est bien autour de la grimace – figure de la peur et du désir – que se construit le dialogue entre la voix de Jeanne et le corps d’Helena.
Avec Helena, nous travaillons à créer ce corps hybride, cette « enfant grande », un peu à la manière du « petit » Ernesto du film Les Enfants de Marguerite Duras, dans lequel un enfant de sept ans est joué par un acteur d’une quarantaine d’années. C’est ce trouble qui nous intéresse : travailler l’enfance à partir du corps de l’adulte, afin de représenter ce qui est souvent écarté de la représentation de l’enfance : le fantasme, le monstrueux, le rapport à l’obscène et à la règle, l’insolence, le plaisir et le jeu. Pour cela, nous nous servons du vocabulaire gestuel et chorégraphique d’Helena, qui vient retrouver celui de Valeska Gert. Nous travaillons une chorégraphie où le fragment (la main, le pied, la bouche, la langue, la natte et les fesses) prend le pas sur le corps perçu dans son ensemble. Nous jouons de la morphologie segmentée et interminable d’Helena, de ses longues jambes et de ses grands bras très laxes, de ses mains démesurées.
Les dimensions atypiques de son corps lui permettent d’isoler un élément – une main, un pied, par exemple – et d’atteindre certaines postures qui bousculent les repères que nous avons d’un corps « normal ».


À la manière d’un tour de magie, nous cherchons à attirer l’attention sur certaines parties du corps et à produire des « effets de zoom » où soudain, le détail prend le pas sur l’ensemble. Ce sont des mains qui descendent trop bas dans le dos et inversent l’orientation habituelle du corps ; un buste qui se détache quasiment du bassin ; un pied qui rejoint naturellement la région de la tête. Toujours, le monstre vient côtoyer le clown, le rire est teinté de malaise, dans un jeu constant avec les limites et leur possible transgression.


La déconstruction du corps ne vise pas à sa dislocation, mais plutôt à la recomposition d’un corps étrange, réorganisé, qui échappe à ses fonctions habituelles et à l’imaginaire dans lequel on a tendance à l’enfermer. Afin de produire l’étrangeté que nous souhaitons atteindre, nous utilisons la mémoire qu’Helena a du corps de son ancienne partenaire : quels mouvements produit le souvenir d’un corps absent ? Où trouver désormais le contrepoids nécessaire à l’équilibre de certaines postures ? Sans chercher le moins du monde à imiter l’enfant, nous travaillons à partir d’une matière concrète et vivante, que nous avons expérimentée lors des premières répétitions.


Avec Le Grand Sommeil, nous explorons la part sombre de l’enfance, celle de l’inavoué, des peurs et des désirs, dans une société où l’enfant est de plus en plus sécurisé, contrôlé et où toute expérience forte est vécue comme une menace ou un danger.


En nous appuyant sur l’expérience que nous avons vécue avec Jeanne, nous racontons l’enfant dans son rapport à la famille, à l’État et à l’art. À travers le portrait de cette enfant de onze ans, c’est notre propre rapport à la norme qui est interrogé, mais aussi la fonction que peut occuper la création artistique dans la construction d’une individualité.


Qu’est-ce que jouer ? Que faut-il prendre et transgresser pour pouvoir grandir ? Que fait une actrice si ce n’est voler, dérober et dévorer ce qui l’entoure ? Si ce n’est être une vampire, cette « terrible dévorante, non par son âme, mais par ses rêves », dont parlai

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