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Le Couloir précédé de Prologue

Création à partir des textes Le Couloir de Philippe Minyana, Prologue de Philippe Minyana,

: Entretien avec Gaëtan Vourc’h

par Pascale Gateau et Valérie Valade

« Ce qui se dégage de moi ne m’appartient pas totalement »


Comédien dans Habitations, de Philippe Minyana, et Madame Ka, de Noëlle Renaude, Gaëtan Vourc’h est de retour à Théâtre Ouvert pour la création de Prologue, de Philippe Minyana en mars 2004.
Dialogue sur son travail de comédien et son goût pour les textes contemporains.


Est-ce que jouer des textes de Philippe Minyana ou de Noëlle Renaude expose le comédien d’une façon particulière ?


Cela dépend des textes et des metteurs en scène. Pour Habitations, de Philippe Minyana, mis en scène par Edith Scob, je commençais la pièce en m’adressant de très près aux spectateurs. C’est étrange d’être dans la situation où, du plateau, on peut observer les spectateurs. Tous les soirs, ces visages me rappelaient ma situation d’acteur ; j’étais dans mon récit, mais, simultanément, dans l’appréhension de ce que ces gens en comprenaient, de comment ils le jugeaient.
Dans la première partie de ce spectacle, je me trouvais devant un écran sur lequel étaient projetées des images. À certains moments, toute l’attention des spectateurs allait à ces images vidéo ; et pendant ces temps où j’étais, moi, privé d’attention et privé de parole (alors que dans ce théâtre c’est la parole qui vertèbre le personnage), je me suis souvent senti complètement démuni. J’étais très simplement là, exposé, sans parade possible.
Dans ces textes, (cela vaut, je crois, pour Minyana comme pour Renaude) la parole est totalement constituante. Les temps où « on ne parle pas » sont habités par la conséquence de ce qui vient d’être dit. C’est au jeu de l’acteur que de réguler ça. Par l’intrusion de temps d’image, Minyana « testait » précisément, je pense, la présence de l’acteur.


Vous aviez aussi participé au chantier Madame Ka, de Noëlle Renaude, avec Robert Cantarella à Théâtre Ouvert?


Robert Cantarella nous a donné une grande liberté. Il nous demandait quelles scènes on voulait travailler et nous laissait faire des propositions de formes, puisque le principe du chantier, c’est de tester les possibles d’un texte sans anticiper une forme finale.


Lors des sorties publiques des chantiers, les spectateurs reçoivent quelque chose de très fragile. Vous, en tant que comédien, vous sentez-vous plus en danger lors de ces séances que lors d’une représentation ?


Non, parce que les spectateurs connaissent les règles du jeu, ils viennent voir aussi des tâtonnements. À chaque fois que j’ai vécu l’expérience, ça s’est plutôt bien passé, parce qu’il y a une complicité de fait, ce ne sont pas des conditions habituelles.


Dans le spectacle Madame Ka, de Noëlle Renaude, monté par Florence Giorgetti, il y a une scène, la « scène des prunes » dans laquelle Benjamin - vous - ne répond que par des « oui » successifs au flot de confidences de Madame Ka (Florence Giorgetti). Cette scène dure assez longtemps… et vos « oui », habités, sont riches et signifiants, ils participent très fortement au comique de la situation. Comment avez-vous travaillé cette partition ?


Il m’arrive très souvent d’ouvrir le dictionnaire et de regarder comment sont écrits phonétiquement les mots que je dois dire. « Oui », c’est un mot tellement usé qu’on ne l’entend presque plus. Il faut affirmer ce « oui » comme un texte énorme à dire.
En fait, je pense qu’il y a deux choses : le traitement des « oui » - comme son - et les moments où ils sont dits. C’est une histoire de rythme et de rapport entre Madame Ka et Benjamin, dont les spectateurs sont complices. Cela tient à la façon très précise dont Noëlle Renaude a construit cette scène. Finalement, Benjamin dit autant de choses que Madame Ka. Et s’il ne disait pas ces « oui », elle ne pourrait pas continuer, il n’y aurait pas de relation.
Dans Madame Ka, les scènes sont écrites comme des photos qui bougeraient légèrement. Cette scène des prunes est annoncée par un titre : « Madame Ka philosophe dans la cuisine passé minuit avec son neveu Benjamin ». Et la scène, telle quelle se met en scène, n’apporte aucun démenti au titre. C’est l’image très concrète de deux personnes à une table, en train de se parler. Il n’arrive rien d’autre que ce qui a été annoncé au départ, mais ce qui arrive en plus, c’est la parole, les mots échangés. C’est cette parole qui, très délicatement, façonne, précise ou recadre l’image.


Vous étiez récemment dans Knock, de Jules Romains, mis en scène par Maurice Bénichou. Est-ce un travail différent, de jouer Madame Ka et Knock ?


Knock, c’est un autre théâtre. Les contingences sont différentes. Avec les textes de Philippe Minyana ou de Noëlle Renaude, il me semble que c’est l’écriture et le travail sur les formes qui prédominent. Dans un spectacle comme Knock, il faut tout de suite être dans la fable. La forme en découle. Au bout d’une centaine de représentations, Fabrice Luchini (Knock donc) s’est mis à prendre des libertés avec le texte mais sans quitter son personnage ; dès qu’un type toussait dans la salle, il se retournait ou faisait un commentaire… Il faisait ça très rapidement et toujours dans le personnage de Knock… C’était ahurissant ! Knock, créé dans le public, tourne maintenant dans le privé. J’ai joué 130 fois dans ce spectacle, mais je ne participe pas à la reprise. En 5 mois, on a joué le spectacle devant 90 000 personnes. Ce sont des chiffres astronomiques. Cela change fondamentalement la façon de faire du théâtre. Pour l’acteur, ça demande pas mal d’endurance.
Ce que je peux dire c’est que l’on apprend beaucoup en jouant dans un spectacle 130 fois, même si on n’y joue qu’une scène d’un quart d’heure. C’est un luxe bizarre. Au bout d’un moment, des choses étonnantes se passent dans le jeu. Il y a moins d’anticipation, on joue beaucoup plus avec l’état dans lequel on est.
Finalement, l’acteur joue avec ce qu’il est, et rien d’autre. Il s’agit de trouver son naturel, même si ce naturel est plus ou moins réaliste. Il arrive qu’on devienne alors le genre de type qui. Souvent on vient chercher les acteurs pour ce type-là.


Et vous, pourquoi vient-on vous chercher ?


Parce que je mesure 1 m 92.


Quelle conscience avez-vous de votre présence comique sur le plateau ?


Parfois les gens rient, mais c’est quelque chose qui est au-delà de moi. J’essaie au mieux d’être présent à ce que je dis. Après, qu’est-ce qui est drôle ? Je ne sais pas. Ce qui se dégage de moi ne m’appartient pas totalement.


Travaillez-vous sur d’autres projets en ce moment ?


Oui, avec Philippe Quesne sur La démangeaison des ailes* . C’est un travail différent de tout ce que j’ai fait précédemment puisque le point de départ n’est pas un texte, mais différents documents : des entretiens, des images, des sons, des objets, rassemblés, au départ du moins, de façon plus thématique que discursive.


Vous avez essentiellement travaillé sur des textes d’auteurs contemporains, et plutôt dans une « famille » de théâtre, est-ce un hasard ?


Ce souci des textes contemporains, je l’avais déjà à l’école de la Rue Blanche, et j’étais effaré de constater qu’on les abordait si peu. Ensuite, j’ai eu envie d’aller vers ces textes, et, au gré des rencontres, cela s’est fait. Mais c’est une chance. Quand on est comédien, on est complètement tributaire des propositions, et dire « non » à un projet, c’est compliqué.


Qu’allez-vous faire, dans Prologue, de Philippe Minyana ?


Je vais jouer « Grand frère »… Avec « Frère aîné », joué par Emilien Tessier et « Frère cadet » joué par Régis Lux ! Ce sont trois vieux frères qui se remémorent une vie, et qui, dans l’émiettement de leur mémoire, ne retrouvent même plus cette maison, la « maison de famille », tant les souvenirs ne concordent pas. Ils sont là, ensemble et seuls tous les trois.


Propos recueillis par Pascale Gateau et Valérie Valade


* La Démangeaison des ailes, revue-spectacle, conception et réalisation : Philippe Quesne. Avec : Gaëtan Vourc’h, Sébastien Jacobs, Cyril Gomez-Mathieu, Tristan Varlot et invités : Emilien Tessier, Rodolphe Auté, Hermès, Les Subtle Turnhips, Mr Ramones.

Ménagerie de Verre, 12, rue Léchevin, Paris 11è, du 20 au 24 janvier et du 10 au 14 février 2004.

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