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Le Couloir précédé de Prologue

Création à partir des textes Le Couloir de Philippe Minyana, Prologue de Philippe Minyana,

: Parcours thématique

par Valérie Valade

L’auteur, Philippe Minyana, et son co-metteur en scène, Frédéric Maragnani, abordent, dans ce parcours thématique autour de la pièce, quelques-unes des sources d’inspiration ou des questionnements présents dans Le Couloir.



• Le purgatoire


P. Minyana : Je travaille depuis pas mal de temps sur le purgatoire, non pas sur l’image chrétienne mais sur l’image poétique. C’est l’endroit de l’attente, de l’entre-deux. Dans Le Couloir, on voit des gens en errance, en faillite : l’un a perdu ses yeux (« des forets métalliques dans les yeux »), l’autre a perdu la raison, une autre est en train de perdre son compagnon, la sœur aînée est en train de perdre la vie, Intrus, qui a commis un crime, volontairement ou involontairement on ne le saura jamais, se punit en se coupant la main droite - celle qui a tenu le fusil. C’est un peuple de « perdants », ce sont des effarés.


• La parole


P. Minyana : Les répliques ne déclinent pas des repères réalistes, elles seraient plutôt comme un refrain de chanson, un slogan, un bout de poème. On ne dit que le haut de l’iceberg, comme si on se privait d’une zone de rencontre possible par les mots. Ce n’est pas du langage familier ni quotidien. C’est toujours un langage de l’ordre de la profération plus que de la communication. C’est plus près, finalement, de l’endroit du métaphysique, de la position incertaine de l’homme dans l’univers, visiblement privé de dieu.


• Le mystère laïc


P. Minyana : Le mystère représentait au moyen-âge la vie du ciel, des fils de dieu et de dieu. Ici, c’est une ordonnance de figures familiales laïques et pas divines. C’est l’observation en un temps assez court


(celui de la représentation) des vacillements (ça tombe, ça vacille, ça pleure, ça bat des mains, ça éclate en sanglots et ça se coupe la main). L’observation d’une déréliction : quelqu’un qui rentre, qui reconnaît cette famille et qui - pour aller vite - reproche à chacun sa médiocrité.


• La mélancolie


P. Minyana : Les derniers mots de la pièce sont ceux d’Intrus : « je crois bien que je suis tombé dans la mélancolie ».
F. Maragnani : Bien avant la psychanalyse, la mélancolie est considérée comme le tourment des artistes qui sont entre le monde rêvé et le monde réel, dans un entre-deux. La psychanalyse a ensuite répertorié de nombreux symptômes très précis de la mélancolie : certains signes du corps, la chute, le vacillement… s’évanouir, dormir quand il ne faut pas...
P. Minyana : Et c’est ce que fait Intrus au début : il entre en vacillant, il s’endort souvent, et au final il tombe. J’ignorais que ces manifestations physiques étaient des symptômes reconnus de la mélancolie, mais je travaille beaucoup, dans mes pièces, sur les symptômes : observer comment la déréliction entraîne des réactions physiques.
F. Maragnani : La mélancolie, c’est aussi le sentiment de culpabilité ; on rejoint encore des notions religieuses, mais qui sont inscrites en nous, dans notre histoire. Le sentiment de devoir quelque chose à la société et la perte d’estime de soi.


• Le sujet


P. Minyana : Je crois qu’il ne faut pas traiter de sujet en littérature théâtrale, mais qu’il faut convoquer des univers, traiter des thèmes, comme en musique ou en peinture. Dans mes pièces, ce sont souvent les mêmes thèmes qui reviennent, mais sur d’autres supports, d’autres matrices. C’est le traitement des formes qui fait que c’est différent.
Ce qui me paraît restrictif et privé de poésie, c’est de vouloir être efficace et traiter un sujet. Ce n’est pas notre rôle. On aborde des sujets, mais on ne les traite pas.


• Marionnettes / Figures


P. Minyana : On me dit quelquefois que je n’écris plus que pour des marionnettes. Il est vrai que beaucoup de marionnettistes s’emparent de mes textes, et cela me plaît. La marionnette n’a pas d’âge, pas d’aspect figé ni anecdotique, elle est une figure fondamentalement tragique, fondamentalement érotique, représentante de quelque chose. Il y a cette petite distance, ce trouble-là, entre l’humain et la poupée qui le représenterait, qui est extrêmement intéressant pour traiter du mythologique, de la métaphysique. L’idée au théâtre de prendre des noms génériques - sœur cadette, intrus - vient à mon avis de la même problématique : essayer de figurer ou de suggérer des représentants. On assiste dans Le Couloir à un rituel, où l’humain est représenté par des figures. Je travaille plus sur des figures que sur ce que l’on appelle le personnage - qui serait repéré socialement, professionnellement, sentimentalement.


• Faulkner


P. Minyana : Au moment où j’écrivais Le Couloir, je relisais Faulkner. Je suis fasciné par la mise en abyme chez Faulkner, le désordre temporel, la fiction morcelée - non linéaire - , les enchevêtrements de la parole, et ce monde du rural et de la brutalité. Il y a toujours, dans une maison, dans un coin, un vieux ou une vieille sur un lit en train de mourir. Il y a une vraie violence, une vraie brutalité.


• Les miniatures médiévales


P. Minyana : Je crois qu’elles ont été mon premier stimuli extérieur. Cette peinture du haut moyen-âge me fascine totalement, en tant qu’espace à la fois réaliste et à l’opposé du réalisme. Il y a souvent un à-plat d’une maison en coupe avec derrière, des perspectives de paysages agrestes ou ruraux. C’est souvent l’histoire de saints, d’anges, en une série de miniatures, jusqu’au moment du sacrifice. Je suis fasciné par cette symbolique, la manière dont l’histoire du monde est filtrée, réinventée dans ces miniatures. C’est un point de départ nourrissant. L’imagerie des miniatures : chevaliers, rois, anges ou princesses ne m’intéresse absolument pas. En revanche, l’idée du croquis, de la stylisation, de l’économie, avec seulement les figures indispensables à la compréhension, m’intéresse beaucoup. Ce sont des représentants de l’humanité.


• Les faits divers


P. Minyana : Chaque fois que j’écris, je relis des articles de Libération que j’ai découpés et gardés dans des chemises en carton. Pour Pièces, Robert Cantarella m’avait parlé de certains thèmes, j’avais repris un fait divers dont je me souvenais, sur un homme que j’ai appelé Tac dans la pièce, qui, spollié, se retrouve à la porte de chez lui. Cette histoire raconte la folie de l’homme et autour de lui la folie de l’indifférence. Pour Le Couloir, je suis parti de deux articles de journaux : à la campagne, un homme et son voisin vont à la chasse, et l’homme tue son voisin. Il est jugé, incarcéré, mais on ne saura jamais s’il a souhaité le meurtre ou pas. La campagne, le fusil, la mort d’un homme : j’ai trouvé qu’il y avait là un drame magnifique, terrible, dont le théâtre pouvait s’emparer. L’autre article raconte l’histoire d’un employé qui reçoit des forets métalliques dans l’œil et à qui son entreprise ne veut pas donner d’indemnité.


• Auteur et metteur en scène


P. Minyana : Le Couloir a été écrit en août 2002. A cet écart temporel va s’ajouter maintenant un autre écart : le fait de mettre en scène à deux, avec Frédéric Maragnani. Je considère le texte comme une chose qui m’appartient à moitié. Quand j’ai mis en scène Anne-Marie à Théâtre Ouvert, j’ai fait des coupes, j’ai réaménagé… C’est un objet qui est soumis à la loi du plateau. F. Maragnani : Mettre en scène en collaboration avec l’auteur est quelque chose qui se pratique peu. Le plus souvent, l’auteur reçoit une invitation pour la première et là, découvre le spectacle. J’avais déjà travaillé différemment sur Ma Solange comment t’écrire mon désastre, Alex Roux, de Noëlle Renaude. Là avec Philippe, c’est encore une autre aventure : l’auteur cosigne la mise en scène. Je sais que c’est une aventure qui comporte des risques, mais cela m’intéresse de tenter ça. Pour moi, le siècle du metteur en scène roi est un peu passé. Je crois que l’avenir de la mise en scène passe forcément par des échanges de savoir-faire notamment entre l’auteur et le metteur en scène. Les gens qui écrivent pour le théâtre apportent un questionnement sur le plateau. On peut mettre l’auteur à l’écart et le trahir en faisant absolument ce qu’on a envie de faire, mais c’est très courant, presque banal. Ce qui est à inventer c’est plutôt une « belle trahison » avec l’auteur.


Propos recueillis par Valérie Valade
Extrait de Théâtre Ouvert / Le Journal n°8 (oct-nov dec 2003)


A lire, également, dans Le Journal n°9 :
un entretien avec Gaëtan Vourc’h,
et Parcours de metteur en scène, de Frédéric Maragnani


en vente à la librairie du théâtre

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