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Le Bardo

+ d'infos sur l'adaptation de Joris Mathieu ,
mise en scène Joris Mathieu

: Entertien avec Joris Mathieu

In livre/échange n°52, octobre 2010.
Propos recueillis par Nathalie Colleville, Centre régional des Lettres de Basse-Normandie.

L/É : Qu’est-ce qui vous a séduit dans l’oeuvre de Volodine ? Et plus particulièrement dans Les Anges Mineurs et Bardo or not Bardo ?


Joris Mathieu : Antoine Volodine est un auteur qui fabrique des images, des séquences poétiques et oniriques qui plongent le lecteur dans un ailleurs, un continent littéraire et finalement visuel. Mon désir de théâtre a toujours été porté vers l'adaptation de romans ou de nouvelles qui me permettaient de projeter des visions scénographiques, mêlant images et littérature. A la lecture de Des anges mineurs par exemple, j'ai eu l'impression d'être à l'intérieur d'un wagon de train, et de découvrir à travers la vitre à la fois le paysage vers lequel je me dirigeais et à la fois en superposition, le reflet du monde que je quittais. Ces deux images s'imbriquaient parfaitement pour tisser une troisième image, un paysage post-exotique.


L/É : Comment traduire sur scène une telle oeuvre romanesque, si dense et à la fois très onirique et très conceptuelle, très cadrée ?


J.M. : Dans les anges mineurs par exemple, le «héros» Will Scheidmann, nous dit «je fabriquais des images destinées à ressurgir plus tard dans votre inconscient ou dans vos rêves.»
Si l'écriture de Volodine repose souvent sur des dispositifs narratifs conceptuels, avec des règles liées à la numérologie par exemple, ou en transposant le cadre rituel du Bardo Thödol, c'est essentiellement dans le but de créer des machines narratives qui ont des vertus magiques et sensibles. Il serait pourtant restrictif de réduire son écriture au dispositif car la dimension intuitive est très forte dans son oeuvre.
Nous avons ainsi conçu des machines scéniques, des dispositifs technologiques entièrement dissimulés, qui produisent une forme de magie, et nous permettent de développer une écriture scénique proposant aux spectateurs une porte d'entrée sensible voire sensorielle et non pas conceptuelle. L'enjeu pour moi est de produire une écriture, dans laquelle l'histoire surgit dans l'esprit du spectateur, qui ne sait pas exactement si ce qu'il a vu a réellement existé ou s'il l'a rêvé. Il s'agit d'une écriture des rêves, parfois hypnotique, dans laquelle une image sonore et littéraire superposée à une image plastique, fabrique une troisième image qui apparaît dans l'esprit de chaque spectateur de manière différente.


L/É : Faites-vous un lien entre les images littéraires suscitées par la lecture de Volodine et les images plastiques, vidéos que vous-même créez sur scène ?


J.M. : Oui, absolument. Volodine fabrique des images, qui m'inspirent d'autres images et j'essaye à mon tour de permettre au spectateur de se fabriquer ses propres images. Mon idée du Théâtre m'amène à considérer le travail du metteur en scène, non comme le traducteur ou l'illustrateur d'un roman, mais comme une extension de l'univers d'origine.
J'aime l'idée que le spectateur soit dans la même position que le lecteur à qui l'on ne mâche pas le travail et que l'on invite à faire travailler son imaginaire.
A ce titre là, les images que la compagnie fabrique s'approchent des images littéraires de Volodine, dans le sens où elles poursuivent le même objectif. Elles visent à fabriquer une terre étrangère et pourtant familière, dans laquelle on erre quelque part entre la mort et nos rêves.


L/É: S’approprier l’oeuvre de Volodine pour la transposer sur scène c’est mettre en scène la mort, ses spectres, ses fantômes. Ou en l’occurrence l’après-mort si on se réfère à Bardo not Bardo. Comment représenter la mort au théâtre ?


J.M. : Mon idée n'est pas tant de représenter la mort, mais plutôt d'interroger notre vie d'un point de vue philosophique, qui est forcément lié à l'idée que l'on se fait de la mort. Ce qui m'intéresse n'est pas à proprement parler la mort, mais le moment où l'on disparaît, où nos sens s'altèrent et notre perception du monde qui nous entoure se transforme pour laisser la place à un monde intime mêlant les derniers échos du réel qui résonne et notre monde intérieur. Finalement ce territoire d'outre-monde, nous permet de mettre en scène des extrapolations du réel, dans une parenthèse enchantée, qui fait la part belle aux rêves dans ce qu'ils ont de plus beaux mais aussi de plus cauchemardesque. Et bien souvent, la psychanalyse ne nous démentira pas, les rêves nous éclairent sur notre façon de vivre le monde.
Par ailleurs, explorer les parages de la mort et la représentation des spectres c'est s'inscrire dans une certaine tradition du spectacle, dans laquelle la question du spectre est très présente si par exemple on repense à la littérature de Shakespeare. Il est assez excitant pour nous d'inventer des dispositifs, permettant avec des moyens technologiques de poursuivre cette recherche «classique». Nous avons donc mis au point un système d'illusion d'optique qui permettent aux fantômes d'être parfois aussi réels que les acteurs en chairs et en os, auxquels ils se mêlent. Ce « réalisme » des spectres, permet d'entretenir le trouble du spectateur sur ce qu'il voit, et d'interroger nos certitudes cartésiennes quant au réel que nous traversons collectivement.

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