: Entretien avec Bruno Bayen
Le titre
L’histoire d’un titre est toujours étonnante au théâtre. Alain
Françon me propose de monter un spectacle au Théâtre National
de la Colline et, quelques jours plus tard, une jeune femme me
téléphone et me demande quel en sera le titre. Lorsqu’on écrit de
la prose, on a jusqu’au moment de la publication pour changer un
titre, alors qu’au théâtre on commence par le titre, donc le titre
gouverne. « Laissez-moi seule », ai-je répondu à la jeune femme…
En anglais « Let me alone » veut aussi bien dire « foutez-moi la paix ».
Lady Di ?
Destin mythique et bestial, c’était déjà celui de Io quand Zeus
songeait à fonder une nouvelle race, elle régénère la royauté.
Trajectoire parfaite, sans déchéance.
Comédie, tragédie ?
Comédie. Autour d’un personnage considéré comme une idiote,
relevant de Point de vue, Images du monde ou des romans de
Barbara Cartland (qui était la mère de la belle-mère de Lady Di)
jusqu’à l’accident de l’Alma. Dès lors elle devient l’image de la
mélancolie d’une époque et d’une société. Elle n’est plus seulement
une figure des rayons intitulés Pour Elles dans les librairies
de gare. Elle devient un sujet de réflexion pour Nelson Mandela,
Fidel Castro et ensuite Montalban et puis Régis Debray,
Baudrillard, …
Disons un miroir, un miroir de ce que nous nous racontons dans
les coins. Aujourd’hui vous êtes à table avec des amis, vous êtes
tous très intelligents, vous évoquez le tragique du monde, vous
commentez ce qui se passe dans la bande de Gaza, vous vous indignez
contre les expulsions des Maliens, et puis à un moment
donné vous avez envie de savoir qui est le père de l’enfant du
garde des Sceaux (cette comparaison est offensante pour la princesse),
à la fin vous avez tout de même parlé de ceci et de cela.
Un conte ?
Vous pouvez passer un an de votre vie nuit et jour sur le Net à collecter
des informations à propos de Lady Di. Dans les documents
ne sont intéressants que les détails, ainsi on vend encore aux
enchères en 2008 des parts du gâteau demariage de Charles et de
la princesse qui eut lieu en 1981. Comme le disait un commentateur,
lors des obsèques : « Son histoire commence là où s’arrêtent
les contes de fées… » C’est une fiction, des gens sont reconnaissables
mais ce n’est jamais naturaliste. Il n’y a pas de localisation
précise, rien ne se passe dans des chambres ou des salons toujours
dans des endroits où on circule, escaliers ou couloirs, où on
peut être entendu. L’histoire peut avoir lieu en Angleterre, elle
pourrait être transposée ailleurs.
Au départ, il y a le conte, depuis la vague idylle que le prince
aurait eue avec la soeur de la princesse, à qui il renonce parce
qu’elle a fait état, dans les tabloïds, de son anorexie, erreur politique
fondamentale. Une soeur est évincée et l’autre prend la place.
Tout est écrit à l’avance dans ces histoires, c’est la «maîtresse » qui décide de qui sera la « femme ». Ensuite entrent en scène ceux qui
sont chargés de surveiller ce qui se passe, le système d’espionnage
inhérent à l’organisation de ce monde.
Comme dans Le Conte d’hiver, il s’est écoulé 16 ans entre les deux
moments clé de la pièce, le mariage et la mort de la princesse,
tuée à Paris sous la copie de la Flamme de la Liberté de New
York…
Les obsèques ?
J’en ai suivi un long moment à la télévision, dans des circonstances
particulières, j’étais sur le point de partir en voyage. Je faisais
mes valises en jetant un oeil vers la télévision. À mon retour,
je suis allé voir un ami, assez bavard, qui m’a dit qu’il détestait
Lady Di mais qu’il s’était obligé à regarder les obsèques de A à Z
et qui m’en a parlé une demi-heure ! J’ai trouvé cela étonnant.
Les obsèques à la télévision ont ceci de très intéressant que c’est
à peu près le seul spectacle de non-fiction extraordinairement
lent, appuyé sur la lenteur, tous les autres sont fondés sur la rapidité.
(Pour les mariages ou couronnements la liesse relaie la rapidité.)
Ces obsèques étaient remarquables aussi par l’imprévu du
protocole infléchi, étant donné la situation légale de la défunte,
d’où suspense, la reine serait-elle ou non devant la grille de
Westminster au passage du cercueil ? Allait-elle le suivre ? Le drapeau
serait-il mis en berne ? etc. J’ai retenu un détail, à l’instant
où elle entre dans Westminster Hall, la soeur de Lady Di rajuste
très longuement son chapeau.
Révisionnisme ?
Lady Di a été embaumée très vite – en réalité, seule une partie de
son corps l’a été –, des bruits ont couru à propos d’une possible
grossesse (et de qui était-elle enceinte ? etc.), tandis que Charles
s’attristait qu’il lui manquât une boucle d’oreille… Des documentaires
ont été réalisés, qui comparaient les transports ambulanciers
en France et en Angleterre, afin de démontrer que les
Anglais auraient été plus rapides et qu’elle aurait pu être sauvée.
Il y a eu toutes les hypothèses émises sur son assassinat possible,
des millions de gens s’en sont parlé de par le monde, au bistro ou
à table…
La négation des faits a sa splendeur, les gens disent, à un
moment donné : on nous ment, la presse nous ment – ils n’ont
pas tort. Et dans un certain nombre de cas, le négationnisme a sa
misère. Autour de ce personnage de conte – un conte où, quand
même, c’est la plus moche qui à la fin triomphe ! – le négationnisme
est une piste de comédie…
Pourquoi Lady Di ?
En voyant un soir Mulholland Drive à la Pagode, les allusions à son
nom, à son destin – l’accident de voiture – qui m’ont semblé une
clé du film, en repensant à ses obsèques, à sa trajectoire parfaite,
Cléopâtre middle class, princesse prête à porter, vide et extrêmement
vivante, je me suis dit peut-être tenter le coup. Comme de
s’inviter chez une femme dont chacun pense ce qu’il veut, mais
finalement c’est elle qui vous intimide.
Propos recueillis en mai et décembre 2008
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