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La Nuit tombe...

mise en scène Guillaume Vincent

: Entretien avec Guillaume Vincent

Propos recueillis par Jean-François Perrier

Pourquoi le metteur en scène que vous êtes a-t-il aujourd’hui le désir d’écrire une pièce ?


Guillaume Vincent : Lorsque j’ai mis en scène L’Éveil du printemps de Wedekind, j’ai écrit un prologue dialogué en supplément du texte original. Ensuite, pour Nous, les héros de Lagarce, j’ai interviewé les acteurs et écrit à partir de là des textes, inclus dans le spectacle, que les comédiens disaient à la première personne. Je n’ai donc pas un rapport de fidélité absolue aux textes que je mets en scène, pas plus que de prétention littéraire par rapport à ma propre écriture. Après avoir orchestré ces quelques séquences, qui servaient à proposer des situations de jeu, j’ai eu envie de poursuivre plus précisément et plus pleinement ce travail d’écriture.


Dans quel univers installez-vous ces acteurs ?


J’avais envie d’un monde où s’opère un certain glissement de réalité. Dans la vie, il y a des moments où votre état peut ne plus être « normal », pour cause de dépression, d’abus d’alcool ou de drogue, de maladie… On a alors une vision de la réalité qui est comme une anamorphose, c’est-à-dire que la réalité transformée apparaît plus réelle que la réalité elle-même. Ce sont des moments où tout semble vaciller. Le théâtre permet justement d’exposer ce monde en le confrontant au monde réel directement sur le plateau, par des moyens scénographiques relativement simples. Un auteur comme Marivaux, qui joue sur le trouble des abysses et les ambiguïtés du jeu, qui questionne le vrai et le faux, est pour moi une référence en la matière. Sa pièce Les Acteurs de bonne foi est à ce titre exemplaire, même si je la considère plutôt comme une extraordinaire théorisation de ce sujet que comme une pièce à jouer. Par ailleurs, j’avais le désir d’écrire sur les fantasmes qui traversent parfois notre vie quotidienne, sur ces moments où, à partir d’un événement très concret, on glisse vers l’imaginaire. J’ai gardé le souvenir très précis d’une amie me racontant qu’alors qu’elle donnait un bain à son enfant, elle avait glissé vers l’angoisse de la noyade. C’est pour cela que l’eau joue un certain rôle sur le plateau, eau qui tue par noyade, eau miraculeuse qui guérit, eau qui rend fertile…


Peut-on parler d’un univers fantastique en ce qui concerne votre texte ?


Quand on parle d’univers « fantastique », on pense à Edgar Poe ou à Théophile Gautier, cette part noble de la littérature fantastique. Pour ma part, je suis plus proche des films d’horreur. Quand j’ai mis en scène L’Éveil du printemps, j’en ai regardé beaucoup, très attentivement, pour identifier les mécanismes qui génèrent la peur chez le spectateur, puis j’ai essayé de transposer ces « recettes » au théâtre. En étudiant ces oeuvres, j’ai surtout constaté qu’elles jouent toutes sur le ressort des fantasmes et de l’inconscient. Mais on peut aussi trouver cette excitation de l’angoisse et de la peur au théâtre sans faire référence à ces films. Par exemple, quand Romeo Castellucci met en scène Purgatorio, il arrive à nous mettre en empathie avec le personnage de l’enfant, sans qu’un seul mot ne soit échangé. Il crée un suspense incroyable sans aucune violence visible sur le plateau, uniquement par le pouvoir de la suggestion. Mais le suspense au théâtre passe aussi par les coups de théâtre. J’utilise beaucoup cette technique dans mon texte : il y a des révélations surprenantes à des moments où, bien sûr, on ne les attend pas, des situations de danger suggérées qui créent un suspense sans résolution…


En dehors du cinéma fantastique, vous sentez-vous d’autres liens avec le cinéma ?


Mes liens avec cet art sont anciens, puisque j’ai fait des études universitaires de cinéma. Je suis particulièrement intéressé par la technique du montage, le flash back en particulier. Dans La nuit tombe…, il y a une forme d’écriture qui, par moments, peut faire penser à une écriture de scénario. En ce qui concerne les réalisateurs dont j’affectionne le travail, je parle souvent de Pier Paolo Pasolini, Robert Bresson et R.W. Fassbinder grâce à qui j’ai découvert Douglas Sirk qui, comme lui, critique violemment l’establishment, mais dans un univers très contraint, très sophistiqué, dans une sorte de décalage paradoxal et particulièrement riche. Et puis, il y a Ingmar Bergman, qui sait si bien décrire ces univers d’enfance traversés de fantômes…


Y a-t-il également des auteurs dramatiques, dont vous vous sentiez proche ?


Forcément ceux qui expriment des états que j’aime explorer. C’est le cas en ce moment pour les auteurs norvégiens : Henrik Ibsen, Jon Fosse ou Arno Lygre, que j’ai commencé à lire après avoir écrit La nuit tombe… A posteriori, j’ai l’impression d’être dans une très grande proximité avec ces oeuvres dites « psychologiques », ce qui est parfois devenu comme un gros mot. Chez Ibsen, il y a également un art du scénario étonnant. Mais c’est peut-être Franz Kafka qui m’est le plus cher…


Vous inscrivez vos personnages dans un lieu unique, une chambre d’hôtel. Pourquoi avez-vous fait ce choix ?


Parce que je crois que c’est un lieu privilégié pour parler des sujets que je souhaite aborder, de ce glissement de la réalité. Cela m’est apparu évident lorsque, me réveillant dans une chambre d’hôtel - ce qui arrive fréquemment lorsque l’on est en tournée -, j’ai cru être chez moi… Mais la chambre d’hôtel est aussi le lieu de la délocalisation, le lieu qui peut être fréquenté par des étrangers, où l’on parle des langues différentes. Dans ma pièce, on parlera d’ailleurs l’allemand, le russe et l’italien, manière de faire résonner le texte différemment. J’imagine un hôtel un peu décati, qui a connu les fastes d’antan, mais dont la splendeur est maintenant défraîchie. Un hôtel à l’image d’un monde en voie de décomposition.


La pièce a été écrite pour des acteurs que vous avez choisis à l’avance…


Oui, mais pour eux en tant que personnes, plus qu’en tant qu’acteurs.


Votre texte se modifiera-t-il au cours des répétitions en fonction du travail avec eux ?


Étant donné que le texte va être édité, cela change un peu mon projet initial. Il y aura une version papier définitive du texte, mais je suis sûr que les répétitions modifieront cette version pour donner naissance à une autre, celle qui sera dite et jouée par les acteurs sur scène. Car, au cours du travail sur le plateau, je sais que je pourrai par exemple geler des passages, supprimer des séquences. Je m’accorde volontiers cette liberté, notamment pour profiter des improvisations des acteurs.


L’enfance tient-elle une place particulière dans votre pièce ?


Oui, mais à travers le fantasme de la maternité, qui est vraiment à l’origine de cette pièce et qui se décline ensuite dans les liens familiaux. La pièce est traversée par un enfant qui fantasme sa mère comme une sorcière, un autre qui fantasme un frère plus parfait que lui ou encore deux demi-soeurs qui fantasment leur père commun.


Serait-on proche d’un conte ?


Disons que j’aime cet univers du conte, où tout est possible. C’est pour cela que j’utilise dans ma pièce le prologue de Peau d’âne de Charles Perrault où il est écrit : « On peut aimer sans mesure jusqu’aux marionnettes. » Cela me permet de donner une piste aux spectateurs, en leur disant qu’il faut se laisser surprendre, qu’il faut accepter de ne peut-être pas tout comprendre immédiatement. Il est vrai que l’univers des contes me touche beaucoup. J’ai d’ailleurs adapté pour le théâtre Le Petit Claus et le Grand Claus de Hans Christian Andersen. Et puis, comme beaucoup de monde, je suis un grand admirateur d’Alice au pays des merveilles

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