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La Nuit juste avant les forêts


: Notes du dramaturge

A partir de La Nuit juste avant les forêts, Bernard-Marie Koltès lui-même considérait qu’il y avait "une coupure très nette" dans son œuvre, qu’écrire était devenu "un autre travail". Mais qu’est-ce qui confère à ce texte un statut d’exception tel qu’il marque l’émergence d’un style ? Ce qui le distingue, c’est la radicalité de sa forme, de sa situation et de ses thèmes. La Nuit juste avant les forêts est une seule longue phrase qui trotte sur soixante-trois pages proférées par un seul personnage sans nom. La langue de Koltès semble s’y découvrir elle-même dans une jubilation constante. Le sens y est sans cesse reporté, au rythme des obsessions du personnage. Koltès usait déjà du monologue dans ses pièces antérieures, mais La Nuit juste avant les forêts est le premier "soliloque". La caractéristique de ce discours n’est pas seulement d’être prononcé par un personnage seul, mais d’être adressé à un personnage qui ne répond pas, comme une question qui ne demande pas de réponse. La force de l’adresse qui explose parfois dans les apostrophes au "Camarade" font de ce texte un appel, un cri. Une vision initiale de cet interlocuteur qui "tournait le coin de la rue" lance un mouvement qui traverse tout le texte et persiste peut-être même après les derniers mots dans une course folle sous la pluie. "… Quel fouillis, quel bordel, camarade, et puis toujours la pluie, la pluie, la pluie, la pluie" ; et les guillemets se ferment donc sans qu’un point ait achevé la phrase, comme si la course, la pluie continuaient dehors, débordaient hors de la scène, nous laissant seuls sous la pluie.
C’est une situation radicale : le personnage semble seul sur scène dans un lieu indéterminé. Il est seul mais des présences sont évoquées dans le texte, outre celle de son interlocuteur, celle des "cons" rencontrés dans les toilettes, "en bas" ou celle de loubards, rencontrés dans le métro. Quant au lieu de l’action, il n’est pas déterminé, mais loin d’être une abstraction, c’est plutôt la superposition de plusieurs en un seul : le coin de la rue, le café, le métro, la forêt du Nicaragua. Cette radicalité de la pièce offre donc des possibilités de théâtre plutôt qu’elle ne les restreint. Dans La Nuit juste avant les forêts, on retrouve les thèmes majeurs du théâtre de Koltès. Par dessus tout, le thème du désir traverse cette pièce comme un souffle. Et si Koltès affirmait que toutes ses pièces parlaient de la France, avec celle-ci, on voit qu’il en parle sur le mode de l’arrachement à tout ce qui est français, pour ne pas dire de la haine du Français. Mais c’est dans cette volonté d’échapper à une violence aveugle faite par la médiocrité française que le désir semble puiser tout sa force ; c’est là que le délire verbal rejoint le désir.
Ismaël Jude, dramaturge

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