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Faim

d'après Sult de Knut Hamsun
mise en scène Arthur Nauzyciel

: Entretien avec Xavier Gallais

Propos recueillis par Chantal, novembre 2011

J’ai lu Faim de Knut Hamsun il y a six ans, par l’intermédiaire d’amis, et je me suis immédiatement dit que je devais en faire un monologue. Ce qui m’a frappé dans ce livre, plus encore que le personnage, c’est sa trajectoire, sa fuite. Il y a un mouvement qui m’a physiquement touché et que j’ai eu envie de retranscrire dans le jeu. C’était la première fois que j’éprouvais la force de peut-être monter seul sur scène avec un texte, simplement par besoin de le faire entendre. Cependant j’appréhendais encore la nature du monologue: je ne souhaitais pas tomber dans le numéro d’acteur. Étant d’autre part attaché à ce qu’il y a de collectif sur un plateau, à l’échange avec mes partenaires et à ce que l’on puise chez l’autre pour renouveler incessamment le jeu à chaque représentation, je rejetais a priori cette forme.


Lorsque j’ai rencontré Arthur Nauzyciel sur Ordet de Kaj Munk, Faim m’est revenu en mémoire. Au-delà des liens évidents avec la Scandinavie, le froid, l’esprit du Nord, le déclencheur a été sa façon de diriger, les yeux rivés sur le texte, demandant à l’acteur de prendre le temps de faire naître en lui des images avant de dire les mots, obligeant ainsi à s’impliquer plus personnellement, hors de la technique. Tout en ayant une confiance absolue, je n’ai jamais été aussi peu sûr de moi et aussi peu conscient de ce que je donnais à voir. C’est cette fragilité, cette tension comparable, à mon sens, au vertige du personnage d’Hamsun, qui m’a encouragé à me lancer dans Faim. De plus, Arthur envisage un rapport au public qui me semble fondamental. Il n’y a pas de quatrième mur, la représentation s’apparente vraiment à une cérémonie, à un partage avec le public qui a une place primordiale. Comme le monologue m’intéresse dans le sens de la veillée, raconter une histoire à des gens, l’inventer avec eux, avec un minimum de moyens, Arthur m’apparaissait être celui qui pouvait m’accompagner dans une aventure où j’allais prendre des risques artistiques nouveaux pour moi, continuer à me remettre en question. Dans la volonté d’un théâtre pur, simple, il a poussé l’exercice jusqu’à la lecture, et nous nous acheminons vers une forme hybride, entre la lecture et l’incarnation.


À partir du moment où Arthur Nauzyciel et Frédéric Franck m’ont suivi dans ce projet s’est posée la question de l’adaptation théâtrale. La prendre en charge n’était pas une évidence, un postulat de départ. Je me suis d’ailleurs tout d’abord tourné vers celle de Jean- Louis Barrault qui l’avait adapté et mis en scène en 1939. Mais il s’agit d’une adaptation pour un spectacle de troupe avec une cinquantaine de personnages pour une trentaine de comédiens que je ne pouvais pas utiliser, m’intéressant pour ma part à la solitude. Il fallait alors penser un nouvel objet scénique et j’ai demandé à Florient Azoulay, avec qui je collabore régulièrement depuis longtemps, de l’écrire avec moi. Notre compagnonnage nous permet d’ancrer l’écriture, en amont du plateau, dans le concret du jeu à venir. Le personnage se construit presque en même temps que le drame s’élabore, que le texte se réécrit.


Nous n’avons pas voulu gommer complètement la forme romanesque. Les frontières sont donc volontairement troubles entre l’acteur qui raconte et le personnage incarné, comme elles le sont dans le roman entre le narrateur et Hamsun qui a puisé dans son expérience personnelle les tourments de cet homme. Le comédien joue, d’une part Hamsun, prix Nobel, en train de raconter sa jeunesse et, d’autre part le personnage du roman, anonyme et sans le sou. Le public est face à un acteur qui témoigne, qui raconte sa vie, sauf que ce n’est pas la sienne...


Pour être au plus proche des enjeux de ce récit, je sentais, en tant qu’acteur, qu’il fallait d’une manière ou d’une autre aller puiser aux sources. J’ai voulu, à ma façon, rendre visite à Hamsun. Je suis parti en Norvège respirer, humer l’air, regarder la lumière. Je me suis rendu dans la maison où Hamsun a été élevé, celle où il est mort. J’ai flâné dans les petits ports de pêcheurs au bord des fjords, j’ai traversé ces paysages de légendes habités par les trolls, j’ai marché dans ces immenses forêts. Puis, comme le personnage, j’ai vagabondé dans Oslo. Je m’y suis perdu, et j’ai rêvé. Ce n’était pas par fétichisme ou pour je ne sais quel pèlerinage naïf, cela me paraissait déterminant...
Ce voyage m’a nourri et m’a convaincu que je devais arriver sur le plateau comme je suis, dans une mise à nu, un lâcher- prise, afin de témoigner le plus sincèrement possible de ma rencontre avec Hamsun, avec son univers. Cherchant à révéler, il n’est pas question, cette foisci, de m’effacer derrière la construction d’un personnage, comme j’adore le faire sur d’autres répertoires. Je veux ici simplement servir ce texte magnifique et engager un travail tenu, ténu, autour de l’importance de la parole au théâtre. C’est elle qui crée de l’image, qui suscite de l’imaginaire chez l’acteur et chez le spectateur, et qui permet qu’ils soient, ensemble, mis au « travail » par la langue forte et singulière d’Hamsun.


Il se trouve que le personnage de Faim s’inscrit dans une lignée d’autres qui me sont proches et que j’ai joués. Il me renvoie pour différentes raisons aussi bien à Cyrano qu’à Roberto Zucco, au SDF de Woody Allen dans Riverside Drive, à Johannes d’Ordet, au rêveur des Nuits blanches de Dostoïevski. Ce sont des destins de vagabonds solitaires, à la recherche d’une vérité qui les place en marge.


Ce qu’il nous a paru important de mettre en lumière dans ce personnage d’Hamsun, c’est le lien étrange entre la réalité et le rêve. Il nie la réalité et invente un monde nouveau à travers le langage, le fantasme... À plusieurs moments, il pourrait se soumettre à la société, être raisonnable, rentrer dans le moule, pourtant il ne cède pas, il ne mange pas, il se débarrasse de l’argent qu’on lui donne. Il veut vivre une expérience jusqu’au-boutiste de l’affirmation de soi. Il s’éprouve physiquement, psychologiquement, jusqu’à la folie, presque jusqu’au point de mourir. Mais attention, son besoin vital, sa faim de transmettre une vérité n’en fait pas un altruiste, il reste un farouche individualiste. Il se suffit à lui-même et ne veut pas tant éclairer le monde que se chercher lui-même à travers et contre ce monde.
Ce journaliste, qui va devenir écrivain, représente pour moi la figure de l’artiste face à la société. Hamsun donne la parole à des gens à qui l’on ne donne justement pas la parole. Le spectateur va venir voir un type en train de crever de faim, comme ceux qu’on croise dans la rue et dont on se détourne, qui nous dérangent, qui nous effraient. Le théâtre doit faire entendre ces poètes anonymes...

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