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Accueil de « La Peur »

: Le spectacle

Par François Hien


L’adresse


La pièce ambitionne de s'adresser à tout le monde : les chrétiens comme les non-chrétiens, ceux que ça intéresse et ceux qui s'en fichent, ceux qui ont été meurtris par l’Église et ceux qui la défendent contre les attaques.


S'adresser à tout le monde, cela ne signifie pas contenter tout le monde. La pièce est sans équivoque sur sa description du désastre moral de l’Église. Elle est particulièrement dénonciatrice du mensonge qui la gangrène. Pour autant, la pièce est écrite de telle sorte qu'un croyant sincère ne soit pas tenté de quitter la salle dès les premiers instants. Les personnages cléricaux n'y sont pas caricaturés, et ils portent des discours que de vrais prélats pourraient signer. Cette justesse du portrait rend la composition de la pièce d'autant plus remuante pour les croyants : c'est ce que les premiers lecteurs ou auditeurs liés à l’Église – prêtres, journalistes spécialisés ou membres du diocèse de Lyon – m'ont confirmé.


Pour autant, cet accueil ne doit pas s'apparenter à une indulgence à l'égard des turpitudes de l’Église ; car alors la pièce cesserait d'être accueillante à l'égard des victimes de l’Église, qui ressentiraient comme une nouvelle violence une telle amnistie symbolique. C'est pourquoi la pièce contient des paroles très dures, une dimension de colère.


Il ne s'agit pas de mettre d'accord des personnes irréconciliables ; encore moins de dire que tout le monde a également raison. Il s'agit de créer les conditions pour que tout le monde entende la même chose, et s'unifie dans un parcours de sens commun. Nous croyons que le théâtre peut être le lieu d'un dépassement du conflit ; mais un dépassement qui n'est possible qu'à condition de ne rien passer sous silence, de ne pas reconduire les dénis et les mensonges ; d'avoir mis en lumière les injustices, d'avoir accueilli et donné expression à la colère. La Peur est construit à la fois comme une épreuve de vérité, qui crève les abcès, et comme un parcours d'apaisement.


Une portée universelle


Pour écrire mes pièces, j'ai l'habitude de trouver l'inspiration dans des histoires qui me semblent emblématiques d'une époque. L'affaire Baby-Loup pour La Crèche, mécanique d'un conflit ; l'affaire Vincent Lambert pour Olivier Masson doit-il mourir ? De nouveau, je m'empare ici d'un sujet de société ; cependant, comme les fois précédentes, ce n'est pas sous l'angle thématique que je l'aborde, mais d'abord comme une histoire particulière ; une histoire d'autant plus romanesque qu'elle se déploie sur fond de fièvre et de débat.


Pour la première fois dans une de mes pièces, un même personnage ne quitte jamais le plateau et est présent dans toutes les scènes. Les pièces précédentes dressaient des portraits de société, des histoires de groupe ou de famille. On peut dire que La Peur dresse le portrait moral d'un homme, le père Goujon. Il s'agit d'un itinéraire exigent et tendu, une sorte de longue épreuve qui le conduit vers la libération. À ce titre, et au-delà des questions particulières qu'elle traite, la pièce se veut universelle : elle entend parler à chacun de son rapport à la peur et au mensonge intérieur.
Nous espérons que les spectateurs chemineront en profonde empathie avec le père Goujon, se reconnaîtront dans ses hésitations et accepteront de s'ouvrir à ses côtés. Autant La Crèche et Olivier Masson étaient des pièces qui s'emparaient de la chose publique, autant La Peur se veut une pièce d'intérieur, une aventure intime.


La création d’équipe


Le père Goujon sera interprété par mon camarade Arthur Fourcade, qui fut parmi les premiers à lire le texte. Je crois que c'est le rôle le plus riche que j'aie jamais écrit. Je suis heureux qu'Arthur chemine avec ce rôle. Ceux qui l'ont vu jouer savent à quel point il est un acteur puissant et subtil.
Il me semble que le père Goujon nous ressemble à tous les deux, pour des raisons différentes.
Arthur a un rapport à la religion profond et distant. Il est athée mais, sa femme étant très pratiquante, il assiste parfois à des messes et s'interroge sur une pratique et une institution dont il est une sorte de compagnon de l'extérieur.


Dans l'Harmonie Communale, nous fonctionnons en mise en scène collective. D'habitude, je joue aussi dans mes pièces, et tout est dirigé depuis le jeu, par le jeu. Or, là, il semblerait qu'il n'y ait pas de rôle possible pour moi. Cela me positionnera presque en metteur en scène, de l'extérieur.


En proposant à Arthur ce rôle, je sais que j'aurai un complice à l'intérieur, qui dirigera depuis le jeu tandis que je le ferai depuis le dehors. Les deux années qui nous séparent de la création vont faire de ce texte éminemment personnel un projet qui nous sera commun, et qui sans doute, un jour, lui ressemblera autant qu'à moi. La Peur ne comporte qu'un seul personnage féminin, celui de la sœur du père Goujon. Il était évident pour nous de le proposer à Estelle Clément-Bealem, notre complice de La Crèche : mécanique d’un conflit et d'Olivier Masson doit-il mourir ? Ainsi reconstituerons- nous cet esprit de troupe qui prend de l'ampleur, de projets en projets.


Pour les trois autres rôles, nous n'avons pas d'évidence mais des intuitions très fortes. Le casting devrait se préciser au cours des mois à venir.



Mise en scène


La pièce est construite autour d'un nombre très réduit de situations.


La situation centrale est celle du long dialogue entre le père Goujon et Morgan. Ces dialogues s'organisent autour des repas dominicaux auxquels le père Goujon a convié Morgan. Les deux hommes échangent tout en pelant des légumes ou en coupant la queue des haricots verts. Ces situations sont propices au déploiement d'une parole sinueuse, aérée de silence. Une parole qui ne vise pas l'efficacité, qui erre à la recherche de la vérité, et qui se saisit de toutes les associations hasardeuses.


Une table occupera le centre de scénographie. Le père Goujon et Morgan, assis autour de la table, discutent et travaillent. Il est important que dans cette pièce les gestes et les durées soient réels. À partir de cette situation centrale, les flash-backs se déploient, selon un dispositif très simple. Les personnages du passé sont comme convoqués par le récit du père Goujon. Dès lors, le père Goujon se situe dans un espace intermédiaire, à la fois au présent avec Morgan, en train de lui raconter, et au passé, revivant ce qui l'a traversé autrefois, le commentant à mesure qu'il le revit, tandis que Morgan reste en observation. De fines bascules de lumière permettront de glisser d'une temporalité à l'autre, créant progressivement un espace dépourvu de repère temporel, un espace proprement mental.


La mise en scène se veut limpide et simple. Limpide : on doit toujours sentir où l'on en est. Bien que son personnage principal soit très torturé, la pièce se veut très claire ; elle n'entretient aucune affinité secrète avec la complexité complaisante de son personnage.


Par ailleurs, cette mise en scène doit être simple. Rien ne doit nous distraire de ce que nous avons à regarder, et qui je l'espère sera plus palpitant que ce que nous pourrions ajouter : un homme qui change à vue. La peur est véritablement une pièce d'acteur. L'essentiel du temps de création sera consacré à l'affinage et à l'approfondissement du jeu.


Autour de la pièce


Comme pour chacune de mes pièces, il est important pour moi de concevoir autour de la pièce des événements, des champs de réflexion et de rencontre. J'ai déjà plusieurs alliés pour construire ce type d'événements en lien avec L’Église. À commencer par James Alison, le prêtre gay dont j'ai parlé plus haut. À la suite de notre lecture publique du premier octobre, il devait venir animer un séminaire autour de la question homosexuelle dans la Bible. La flambée de l'épidémie à Madrid nous a contraints à annuler sa venue. Mais nous la reprogrammerons dès que possible. Au printemps, James fera paraître aux Éditions du Cerf un livre inédit en français, La Foi derrière le ressentiment, consacré à son expérience de chrétien homosexuel. Nous aimerions construire des événements communs entre la pièce et le livre. Le responsable « Art, Culture et Foi » du diocèse de Lyon a beaucoup apprécié la pièce et tient à associer le diocèse aux conférences de James.


J'ai reçu également des marques d'intérêt de la part de RCF, la radio chrétienne dont le siège est à Lyon ; de l'Université Catholique de Lyon ; ainsi que du quotidien La Croix, dont la couverture de ces affaires a toujours été d'une grande intransigeance. J'ai vraiment le sentiment que la pièce pourra servir de base à une reprise des réflexions de l’Église sur elle- même, à propos des questions de sexualité.


Par ailleurs, j'aimerais associer l'association "La Parole Libérée" à des débats organisés en marge de nos représentations.


Enfin, chacune de nos pièces est l'occasion de proposer des événements d'éducation populaire.
Débats mouvants, rencontres, extraits hors-les-murs : nous nous sommes fait une spécialité de ces échanges, qui permettent d'approfondir le travail, de le confronter à des spectateurs qui viennent peu au théâtre, et ainsi à les inciter à venir. Nous continuerons ce travail autour de La Peur, qui s'y prête particulièrement bien.


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