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La Parabole des papillons

mise en scène Michèle Addala

: Entretien avec Michèle Addala, Jean Cagnard et Gilles Robic

Propos recueillis par Jean-François Perrier

Le projet La Parabole des papillons s’inscrit dans un vaste travail que vous avez engagé, depuis de nombreuses années, auprès des quartiers d’Avignon.


Michèle Addala : La compagnie fait le choix d’un théâtre de proximité, à la recherche de processus et de formes qui relient le poétique et le politique. C’est un choix historique puisque nous sommes implantés dans le quartier Monclar depuis 1985 et nous avons tissé depuis lors des liens créatifs avec les habitants de l’ensemble de la ville. En effet, nous animons, en lien avec des associations, des structures socioculturelles et de santé, des ateliers de pratique artistique à destination des enfants, des adolescents et des adultes. Ces ateliers se déroulent dans les locaux de nos partenaires ou au sein même de notre théâtre, L’Entrepôt, situé à la lisière de l’intra- et de l’extra-muros. Nous menons également depuis 1997 des ateliers de parole qui, autour d’un thème précis, réunissent des habitants des différents quartiers. Ils sont à l’origine de nombre de nos spectacles dont La Parabole des papillons.


Comment s’articulent les travaux que vous menez sur le terrain et la construction de vos spectacles?


M.A. : Les ateliers de paroles, de pratiques artistiques, les petites formes présentées ici et là tout au long de l’année ne se voient pas uniquement depuis les gradins, mais constituent la colonne vertébrale de notre démarche artistique. Il s’agit de processus de création partagée sur la durée. Nous établissons des liens avec des personnes singulières, des individus particuliers, faits d’histoires uniques et nous nous altérons mutuellement. Nous travaillons avec les habitants, mais nous sommes surtout travaillés par eux. Ce sont eux qui creusent notre imaginaire. Leurs poésies habitent nos spectacles. Leurs paroles grignotent l’écriture des auteurs impliqués dans nos projets.


Comment sont nés les ateliers de parole qui fondent la matière première de La Parabole des papillons?


M.A. : À l’origine, j’anime un atelier d’expression avec un groupe de jeunes dans un stage d’insertion sur le quartier Monclar. La comédienne que j’étais alors est immédiatement sensible à leur façon d’être sur le plateau, à leur présence. Il s’agit tout autant pour eux que pour moi, d’une rencontre humaine et artistique. À la fin du stage, nous avons envie de poursuivre l’aventure. Ils répugnent à aborder le texte et ne s’intéressent pas aux formes théâtrales «traditionnelles», j’écris donc nos spectacles à partir de montages qui croisent travaux d’improvisation, matériaux littéraires et poétiques. En 1995, nous décidons de nous «coltiner» un peu plus aux textes et travaillons à partir d’entretiens de La Misère du monde de Pierre Bourdieu et de monologues de Philippe Minyana. Nous jouons pour la première fois dans le OFF le spectacle Chronique des funambules. C’est à partir de là que nous avons eu envie d’aller recueillir, à notre tour, la parole des habitants de notre ville et c’est ainsi que sont nés les ateliers de parole. Une façon pour nous d’ancrer un positionnement sur le territoire, d’affirmer aussi une esthétique qui frotte des écritures fictionnelles et des paroles du réel, qui joue de la transparence entre l’acteur et le personnage, qui puise dans l’écriture du plateau et bouscule les codes de la représentation dans la relation aux spectateurs et aux espaces de jeu.


Comment retravaillez-vous ces paroles?


Gilles Robic : Si nous revendiquons un ancrage précis, nous ne voulons pas garder «le nez sur nos souliers». C’est pour cette raison que nous faisons le plus souvent appel à des auteurs à même de porter un regard plus universel. Les ateliers de parole, sources de La Parabole des papillons ont tous été suivis par deux auteurs : Jean Cagnard et Valérie Rouzeau. C’est à partir de leurs notes et des enregistrements des vingt-cinq ateliers et des journées d’improvisation, qu’ils ont entrepris leur travail d’écriture pour la scène. Notre choix s’est porté sur deux auteurs ayant des ressources et des sensibilités très différentes. Le premier, Jean Cagnard, romancier, auteur de théâtre, compagnon de longue date de la compagnie, la deuxième, Valérie Rouzeau, est une figure majeure de la poésie contemporaine. La thématique de l’identité féminine est extrêmement présente dans ses recueils et sa langue est «très poreuse». Comme elle le dit elle-même, elle écrit beaucoup avec les mots des «autres ». Nous ne leur avons pas commandé une pièce, mais demandé de produire une matière textuelle que nous organisons au fil des répétitions. Hormis cette contrainte, nous les avons laissés libres d’écrire dans «leur » langue ou dans celle des participants.


Jean Cagnard, vous êtes l’un des écrivains avec lesquels Michèle Addala travaille régulièrement. Vous menez, bien évidemment, une oeuvre personnelle, en dehors de cette collaboration avec la compagnie Mises en scène.
Écrivez-vous différemment quand vous travaillez avec elle?


Jean Cagnard : Ce n’est pas le même travail, puisque je ne suis pas seul devant ma feuille. Avec Michèle Addala, la matière première du récit m’est offerte. Je tente de capter ce qui, spontanément, me semble le plus théâtral dans les paroles entendues, mais je transcris le maximum de ce que j’entends. Après, je laisse décanter mes notes. Je remarque les redites, les fausses pistes, les digressions. Je cherche les lignes de force, les articulations possibles entre ces paroles. Puis je débute l’écriture et je présente le rendu à Michèle. Suite à nos discussions, je réécris si besoin est. Je m’applique à concevoir des textes très ouverts, dans lesquels une dramaturgie peut facilement s’inscrire. Parfois, je m’autorise à rajouter, à ce qui a été dit dans les ateliers, des réflexions que j’ai pu entendre ici ou là, dans la rue ou lors de conversations entre amis.


Chaque saison, vous établissez un thème préalable aux ateliers de parole…


M.A. : Oui. Même si en changeant de thème, on ne change pas obligatoirement les sujets abordés. C’est l’angle qui varie. Cette année, le thème choisi a été celui d’un «être femme». L’une des raisons de ce choix provient de nos interrogations sur la place des femmes dans nos sociétés. Que signifie aujourd’hui le fait d’être femme, dans un rapport à l’intime comme dans un rapport sociétal? Elles sont très majoritaires dans nos ateliers de parole et nous constatons chaque jour qu’elles sont aussi extrêmement présentes dans la vie des quartiers. Elles luttent contre la désertification de ces zones, créent des associations. Elles sont très actives dans les écoles pour défendre l’éducation et amènent leurs enfants dans nos ateliers. Nous souhaitons pour ce prochain spectacle multiplier les approches de leurs paroles contrastées, tantôt pétillantes tantôt fragiles, souvent provocatrices et d’une vitalité décapante.


Concrètement, comment sont organisés ces ateliers?


M.A. : Très simplement, autour d’un café partagé. Nous passons par notre propre réseau d’adhérents et de personnesressources, les associations, les structures socioculturelles, les bibliothèques de quartier, les foyers de jeunes, les troquets. Les gens arrivent et commencent à parler, en toute liberté. Les ateliers de parole ne sont pas des espaces de discussions entre «copains». Nous essayons d’en faire les refuges de dits «hors convenances» où puisse s’exprimer ce qui se tait en famille ou dans la rue. La lecture d’extraits de textes (romans, récits, pièces, poèmes), en introduction des ateliers, permet de créer un imaginaire commun élargissant immédiatement la discussion. Par des apports littéraires ou journalistiques, nous cherchons à provoquer des paroles singulières, des récits mais aussi du débat. Pour La Parabole des papillons, les ateliers ont pris plusieurs formes : grands groupes autour d’une table en journée, entretiens individuels au domicile des personnes, petits groupes en soirée. Afin de susciter des expressions différentes, nous avons organisé quatre journées d’improvisations à L’Entrepôt, où se sont mêlés sur le plateau les professionnels et les amateurs. C’est à partir de ces temps de partage que les auteurs ont commencé à écrire.


Pour la création de ce spectacle, les ateliers de parole sont-ils l’unique relation que vous entretenez avec les habitants?


M.A. : L’aventure se poursuit au-delà des ateliers de parole puisque des amateurs contribuent à la construction du spectacle et seront présents sur scène. Le matériau qui constitue la matrice de l’écriture du spectacle n’est pas uniquement verbal. Notre recherche s’axe également sur l’écriture du plateau, en posant notamment les acteurs (professionnels ou amateurs) comme auteurs. Lors des premières semaines de répétitions, nous improvisons beaucoup. Le plus souvent, nous commençons par des travaux collectifs, qui permettent aux amateurs de ne pas se sentir exposés aux regards des autres. Il n’y a pas de casting à proprement parler. C’est le volontariat qui prévaut. Nous partons des personnes, des corps existants, de ces présences si particulières qu’ont les non-professionnels sur le plateau. Ensuite, c’est Gilles Robic et moi-même qui organisons les textes et les propositions scéniques pour écrire le spectacle.


G.R. : Le travail dramaturgique va dans le sens d’une construction de séquences par empilements, de transitions non-narratives (lumière, son, images…). Le spectacle n’offre pas vraiment de «trame» à laquelle s’attacher mais met en jeu le dire «collectif» et le dire «singulier», «l’être ensemble» et «l’être intime» d’un groupe de femmes. Nous cherchons à construire un récit étoilé fait de multiples strates et où chacun(e) puisse trouver sa place et que chacun(e) puisse s’approprier. Au final, le personnage principal de La Parabole des papillons est un choeur d’une quinzaine de femmes de tous âges (amatrices et professionnelles). Au-delà des répétitions, les amatrices mènent un travail vocal et choral une fois par semaine avec deux comédiennes-chanteuses de l’équipe.


Y aura-t-il des hommes présents sur le plateau?


M.A. : En plus des deux comédiens de l’équipe et du musicien, nous avons choisi d’intégrer sept jeunes hommes issus des ateliers de théâtre de la compagnie et de «La fanfarumaine», un projet de percussions corporelles que mène le comédienchorégraphe Cheikh Sall depuis deux ans.


Répétez-vous dans votre lieu?


M.A. : Oui. Depuis 2000, nous avons la chance d’avoir un lieu, L’Entrepôt, situé boulevard Champfleury. Nous avons tenu à conserver nos bureaux, lieu d’accueil, d’ateliers, de petites formes théâtrales sur le quartier Monclar. Je craignais qu’un théâtre «à nous» nous enferme, mais nous avons réussi à investir cet espace sans perdre notre relation au terrain et à nos partenaires.


Vous rattachez-vous à ce qu’on appelle le théâtre documentaire ou vous sentez-vous plus proches d’un théâtre documenté?


M.A. : Je ne me reconnais pas vraiment dans ces catégories. Ma pratique est plutôt d’associer étroitement les personnes à une démarche de création, de «co-construction» d’un objet théâtral. Il s’agit, en conséquence, de créer les conditions d’une parole partagée avec aussi pour enjeu de mettre la démocratie au travail. Je cherche à mettre en oeuvre un théâtre en prise directe avec le réel fait de littérature, de poésie et de fictions, qui intègre les diversités sans établir de hiérarchie.


J.C. : Je crois que nous ne faisons pas de théâtre documenté, mais du théâtre tout simplement. Nous proposons une démarche artistique aux personnes qui nous rejoignent, et non pas seulement le simple fait de venir témoigner. De mon point de vue d’auteur, je dois toujours chercher l’espace poétique et métaphorique de ces paroles. Nous parlons du quotidien, mais pas d’une façon quotidienne, en le transposant, en l’emmenant ailleurs.

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