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La Mère coupable ou comment faire du neuf avec du vieux ?

mise en scène Laurent Hatat

: Notes de Laurent Hatat

Rencontrer la belle inconnue


Il y a quelques temps déjà, j’ai entrepris une trilogie sur le XVIIIème siècle, Nathan le Sage de Lessing, Nanine de Voltaire et, déjà, La Précaution Inutile (Le Barbier de Séville) de Beaumarchais.
Quelques saisons et 250 représentations plus tard, et d’autres virevoltes contemporaines, je veux revenir à Beaumarchais et sa dramaturgie fondatrice. Un Beaumarchais inconnu : La Mère Coupable. Le dernier volet du « roman de la famille Almaviva ». On y parle de secret de famille, d’amour et de mort, d’enfants déshérités, de domination masculine, de religiosité fanatique, de divorce, d’indépendance rêvée et de culpabilité féminine construite et entretenue. On y parle de compromission politique, de manipulation et de fraude fiscale. Je veux présenter cette belle inconnue car on y parle d’aujourd’hui.


Démaquiller la belle poussiéreuse


Bien qu’en pleine tourmente révolutionnaire, la création de La Mère Coupable à la Comédie-Française fut un immense succès, pourtant aujourd’hui la dernière pièce de Beaumarchais reste souvent incomprise : c’est que l’auteur y revient au genre intermédiaire, entre comédie d’intrigue et tragédie, le drame. L’émotion, l’enjeu de l’émotion du spectateur est central. J’aime ce théâtre pourvoyeur d’idéaux, fondateur de notre rapport à l’art dramatique comme enjeu de culture mais qui ne s’épargne ni la fable ni les émotions, de la gaité aux larmes. La pièce est trop souvent décrite uniquement comme « sérieuse ». Pourtant après avoir soufflé sur la poussière de l’exemplaire et s’être adonné à une relecture attentive, elle se présente comme tout à fait colorée : Almaviva déboussolé, Rosine si touchante, Figaro beau parleur, Suzanne claire et forte, Bégearss dangereux...
Nous sommes en plein chaos !


Et la mettre nue, la fable


Nous sommes 20 ans après Le Mariage de Figaro. La famille Almaviva débarque à Paris en pleine révolution française. Léon le fils cadet d’Almaviva et de Rosine, devient le seul héritier légitime après la mort de son frère ainé.
Et Léon aime Flore, la jeune fille qu’Almaviva a recueillie comme pupille... en réalité sa fille ! Flore aime Léon, l’inceste plane. Sur ce, Almaviva découvre grâce aux manœuvres de Bégearss, « l’ami de la famille », que Léon est l’enfant d’un autre et d’une « mère coupable ». Léon est le fruit des anciennes amours de Rosine et Chérubin. Depuis la Comtesse se consume en honte et en chagrin.


Almaviva, blessé dans son orgueil, décide d’éliminer Léon. Il veut donner Flore à Bégearss, transformer tout l’héritage familial en monnaie sonnante et trébuchante et en doter Flore. Coup triple contre la mère, contre le fils et pour la fille illégitime. L’occasion pour Bégearss, qui est un profiteur très habile avec l’argent, de capter tout l’héritage, la fille et de spolier tout le monde.
Mais Figaro et Suzanne veillent. Il faut encore une fois défendre cette famille minée par les secrets, la honte et l’aveuglement, la défendre de l’intérieur, contre ses propres démons, contre elle-même alors qu’au dehors les soubresauts révolutionnaires menacent.


Jouer devant le miroir


Mon projet est plus que jamais d’explorer les débats intimes, sociaux, politiques qui agitent le monde d’aujourd’hui, d’en pointer et démontrer les mécanismes de domination, de violences. J’ambitionne un théâtre charnel, qui sait aussi s’affranchir du langage, c’est la puissance des corps nécessaires que je souhaite mettre en œuvre ici aussi. Travailler sur un texte du XVIIIème et particulièrement avec un auteur comme Beaumarchais, c’est poser la question du miroir contemporain qu’offre le large champ des questions sociétales abordées : la filiation, le patriarcat, l’émancipation féminine, les rapports de classe, la place du religieux... autant de tensions, de ruptures que je veux transcrire dans la folie des corps au plateau. Jouer de la vivacité et de la gaité d’aujourd’hui pour créer nos « impressions ».


S’approcher et vous toucher


Je souhaite une Mère Coupable qui donne un sentiment de familiarité, de proximité au spectateur. Ce « rapprochement », qui abolit toute dérision, est un enjeu crucial pour créer l’émotion du cœur et de l’esprit. J’ai proposé à Thomas Piasecki, un jeune auteur et metteur en scène dont j’aime l’audace des textes qui mêlent l’intime et le politique, de travailler avec moi à une adaptation contemporaine de la pièce. Avec Thomas, nous allons donner la possibilité à Beaumarchais de poursuivre aujourd’hui son interrogation ludique du corps social, contemporain cette fois. En rééquilibrant la parole de Flore, de Suzanne, desservies à l’origine par leur rôle social d’ingénue et de servante, nous révèlerons sans doute une réalité moins flatteuse que celle qui se donne pour acquise dans la mythologie républicaine et son discours sur l’égalité. Qu’en est-il aujourd’hui de la place des femmes, de la place de l’autre, de la lutte contre le déterminisme sociale, du rôle de l’argent ?

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