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La Maladie de la famille M.

+ d'infos sur le texte de Fausto Paravidino traduit par Caroline Michel
mise en scène Fausto Paravidino

: La banlieue élargie de l'Occident.

Fausto Paravidino à propos de La Maladie de la Famille M.

Se reconnaître
L'idée du théâtre qui me plait – et je vais prendre le risque de citer Hamlet, tant pis – c'est celle où les acteurs tendent un miroir à la nature ; pour moi le théâtre doit être un lieu où le public se reconnaît. Alors, du point de vue de l'interprétation et surtout de la mise en scène, ce qui m'intéresse, ce n'est pas un grand théâtre d'idées où l'on voit des choses extraordinaires destinées à surprendre le public. Je préfère que les artistes utilisent leur art pour créer, tous ensemble, quelque chose de très petit, de très délicat, mais qui soit révélateur de l'âme humaine. Quand je vais au théâtre, j'aime m'apercevoir que le metteur en scène a découvert quelque chose à mon sujet, au sujet des gens. Une chose que je savais déjà, mais que je n'avais pas vue représentée. Tant que cette chose que je connais je ne la vois pas représentée, je me sens seul. Quand je la vois sur scène, j'ai un sentiment de communion.
Cette représentation n'a rien à voir avec le réalisme. À ce propos, rien n'est plus différent de la réalité que le reality show. Le reality show est une banalisation de la réalité. Il montre des personnes qui font semblant d'être normales. Ce faisant, elles mettent en scène l'art de la banalité. Or chaque personne est singulière. Et si les acteurs sont plus intéressants que les personnes des reality shows c'est parce qu'ils ont été entraînés à reconnaître la singularité des personnes. Ce qui m'intéresse donc est un parcours de stylisation, de compression, parce que l'écriture est une compression des canons de la réalité autant que l'art de l'interprétation. Mais l'objet que j'aime voir stylisé et compressé, naturellement, c'est la réalité. Parce que c'est le seul monde qui m'intéresse : je ne crois pas en Dieu et je n'ai pas encore rencontré d'extra-terrestres.


Du raisonnement en politique
Contrairement à Gênes 01 (pièce de Fausto Paravidino faisant référence au sommet du G8 à Gênes en 2001, ndlr), La Maladie de la famille M. n'est pas une pièce contenant des références directes à la politique. Pourtant, à sa manière, elle est politique, et pour deux raisons : l'une générale et l'autre particulière. La raison générale, c'est que la politique s'occupe de la polis, c'est-à-dire du fonctionnement de la cité. Le théâtre est une métaphore de la réalité. L'expérience théâtrale consiste à enfermer des personnes, qui représentent l'humanité, à l'intérieur d'une scène, qui représente le monde, et à voir dans cette cage comment se comportent les êtres humains. S'expriment alors leurs vices – comme dit Molière – leurs peurs ou leur violence ; mais surtout – et les acteurs montrent cela de façon très naturelle – des rapports de pouvoir. En cela, chercher à comprendre, sur une scène, le fonctionnement d'une famille ou d'un couple est une activité politique, puisqu'il s'agit d'une réflexion sur ce que sont les rapports à l'intérieur de la société, à travers une métaphore de la société. D'un point de vue plus particulier, je crois, du moins en ce qui concerne la politique italienne – mais pas seulement – que s'est opéré depuis quelques années un déplacement de la politique : on est passé du débat – c'est-à-dire d'une tradition politique fortement inspirée par la philosophie – à la publicité, c'est-à-dire une politique fortement conditionnée par l'image. L'image, et l'image fast food, sont devenues très puissantes. Cette stylisation de la pensée procède à grands coups de pinceaux émotionnels au lieu de faire appel au raisonnement. Et cela fait beaucoup de mal à la politique. Le théâtre est un espace privilégié ; c'est le meilleur endroit pour faire silence, pour se débarrasser des images et reconstruire le logos, reconstruire le raisonnement, parce que les mots nous arrivent « propres ».


Étranges maladies
Il y a beaucoup de maladies dans cette pièce. Chaque personnage en a une différente. D'une façon générale, ce ne sont pas des maladies d'ordre sanitaire mais plutôt celles qui arrivent dans le cabinet d'un médecin de campagne. Dans le cabinet d'un médecin de campagne, on voit toutes sortes de maladies et la plupart n'ont pas leur solution dans le codex pharmaceutique, pas plus qu'elles ne trouvent leur définition dans les manuels de pathologie. Je suis fils de deux médecins de campagne, j'ai grandi en entendant parler de toutes sortes de cas chez l'espèce humaine, et je suis un grand amateur de Tchekhov naturellement... Le point de vue de la pièce est donc celui du médecin, le narrateur, qui évoque ce dont souffre chacun des personnages, y compris lui. Mais comme l'indique le titre, il existe dans la pièce une maladie unificatrice, qui les contient toutes ; cette maladie a trait à la difficulté d'affronter un deuil. Cette famille a connu un décès et chacun de ses membres, à sa façon, a hystérisé – comme dirait Freud – l'élaboration de son deuil. Le mot et la chose peuvent avoir quelque chose d'assez menaçant pour le public ; d'un autre côté, « l'hystérisation » d'un deuil peut se faire de façon très amusante... malheureusement. La maladie qui unifie aussi les personnages extérieurs à la famille, les deux garçons et le médecin, c'est naturellement le besoin d'être aimé, propre à tous les êtres humains. En soi, le besoin d'être aimé n'est pas une maladie. Il en devient une ici dans la mesure où les personnages « pathologisent » leur peur de ne pas être capables d'aimer. Et puisqu'il s'agit d'une pièce de la seconde moitié du vingtième siècle, et même du début du vingt-et-unième, elle traite des difficultés de communication : c'est cette difficulté de communication qui provoque un malaise chez les personnages, qui fait naître en eux cette peur d'être incapables de manifester leur amour. En cela j'ai de la chance, parce que « ti amo » – terme qu'on emploie pour son ou sa fiancé(e) – et « ti voglio bene » – terme qu'on emploi pour ses parents, son frère ou sa soeur – se disent de la même manière en français : « je t'aime ». En italien, il y a une différence inutile entre « ti amo » et « ti voglio bene ».


Quand l'auteur se met en scène
Dix ans se sont écoulés depuis que j'ai écrit La Maladie de la famille M. Je ne dis pas que je suis devenu comme Ibsen, mais je m'en suis un peu rapproché. Je ne suis plus tout à fait la même personne. Je m'en suis rendu compte en travaillant sur la pièce en tant que metteur en scène. J'ai bien sûr quelques informations confidentielles et privées sur l'auteur de la pièce, mais globalement, mon rapport à celle-ci en tant que metteur en scène n'est pas différent du rapport que j'ai avec d'autres auteurs, quand je les mets en scène. Du fait de la distance temporelle d'une part, mais aussi du fait de la méthodologie de travail. Écrire et mettre en scène sont deux activités très différentes, et il faut qu'elles le restent. J'en ajouterais même une troisième : l'interprétation. En restant différentes, chacune enrichit l'autre. Dans le travail avec les acteurs français, il faut trouver un langage théâtral commun. Je ne vois pas de grande différence entre travailler avec des acteurs italiens et des acteurs français. Ce qui fait une vraie différence, c'est le fait de connaître ou non les acteurs avec qui on travaille.


Cette campagne qui n'en est plus une.
La Maladie de la famille M. compte, outre les sept de la distribution, trois autres personnages très importants pour moi : l'heure de la journée, la météo, et le lieu. Dans une pièce basée sur la description de petits comportements, l'heure de la journée a une influence capitale sur l'humeur des personnages : cinq heures de l'après-midi, par exemple, est une heure terrible ; la nuit, quant à elle, est le moment où l'on se livre, puisqu'on est protégé par l'obscurité...
Le temps qu'il fait – la neige, la pluie, le froid, la chaleur, bref ce lien à la nature – est un acteur qui, depuis la fin du romantisme, joue selon moi trop peu de rôle au théâtre. Pourtant je pense qu'il a encore beaucoup de choses à dire, particulièrement en ce moment, où l'on fait semblant de ne lui porter aucune attention.
Le lieu, enfin, est lui aussi un protagoniste important, il est même devenu après l’écriture de La Maladie de la famille M. le protagoniste principal de Texas, unique film que j'ai écrit et réalisé, et qui s'inspire un peu de son univers. Ce lieu, c'est cette ex-campagne où vit la moitié de la population européenne. Une moitié de la population vit dans des villes, toutes différentes les unes des autres, et l'autre habite dans ce qui fut autrefois la campagne, mais qui a perdu aujourd'hui tout contact direct avec l'élevage et l'agriculture. Cette campagne n'est plus qu'une banlieue élargie de l'Occident. Les gens qui vivent à Paris sont tous fiers d'habiter à Paris, mais les gens qui vivent dans la plaine du Pô, ou en Normandie, ne s'en vantent pas particulièrement. Ils mesurent leur lieu d'habitation à la distance qui le sépare de la grande ville... Ils ont grandi avec Walt Disney, avec La Guerre des étoiles, avec les hypermarchés... pourtant ils vivent dans des endroits merveilleux, où la nature parle, mais ils n'écoutent pas la langue de la nature parce qu'ils sont tout simplement malheureux de ne pas vivre à Los Angeles ou à New York... J'ai beaucoup de tendresse pour eux ; les punks avec des petits pulls en laine, les rappeurs au milieu des vaches. Ce sont des personnes qui ne se sentent pas à leur place et qui, souvent, n'ont pas le courage, ou l'argent, ou simplement de raison réelle, pour partir vivre dans un endroit qui leur ressemblerait. Alors, ils vivent cette petite névrose de la distance qui sépare leurs points de repère imaginaires de la réalité dans laquelle ils se trouvent.


Intérieur/extérieur
Alors que voit-on, sur scène, de tout cela ? La plupart des actions de la pièce ont lieu à l'intérieur de la maison ; le plateau devrait donc être une reconstruction de la maison. Mais dans ce cas, l'environnement extérieur serait exclu, et c'est lui qui m'intéresse. Avec la scénographe Laura Benzi, nous allons essayer de styliser le plateau de telle façon que l'intérieur et l'extérieur se contaminent, deviennent une seule et même chose. Il y a donc un praticable, qui est le lieu sacré du théâtre. Toute l'action a lieu sur un « ring », sur une scène, sur un support pour les acteurs, un endroit où ils définissent eux-mêmes l'espace, comme dans Shakespeare : j'entre en scène et en fonction de la façon dont je me positionne, dont je place mon corps d'acteur dans l'espace, je vous raconte si je suis dans une crypte ou sur un balcon. Autour de ce praticable, il y a d'une part des éléments qui évoquent la nature : les arbres, les feuilles, la neige, la pluie, et d'autre part des éléments qui évoquent la maison : un fauteuil, des chaises, une table, une fenêtre – lien entre intérieur et extérieur – et une porte. Derrière la porte, il y a un couloir infini qui conduit au coeur du mystère de la famille, lieu tendre et horrible à la fois.


propos recueillis par Laurent Muhleisen, conseiller littéraire de la Comédie-Française, traduits de l’italien par Caroline Michel, novembre 2010.

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