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Le Cas Woyzeck

+ d'infos sur l'adaptation de Roxane Compagne ,
d'après Woyzeck de Georg Büchner
mise en scène Sarah Gerber

: Le Spectacle

Et la table accouchât d'un spectacle.


C'est ce moment un peu vain où l'homme est assis autour de ce meuble maintenant si familier et tellement nécessaire à sa vie, en face de son congénère ou de lui même, et qu'il se regarde, et qu'ils se regardent.
Puis dans un soupir, il prend sa tête dans ses mains, soupire, allume une cigarette et dit "on dirait que…" et la fiction nait.
Et cette table banale et sans histoire accouche simultanément de figures et de cris, de monstres et de mort…


Je n'aime pas beaucoup le mot "improvisation" je ne sais pas vraiment pourquoi mais j'ai la sensation que dans le vocabulaire des érudits comme des néophytes ce mot est un peu grossier, comme si le fait de n'utiliser comme base de travail que des matériaux immatériels le rendait moins noble.


Nous avons commencé notre travail en lisant de nombreuses fois la pièce écrite par Büchner (dans une version scénique traduite et adaptée pour notre spectacle par Roxane Compagne). Puis nous avons entamé le travail sensible, celui qui touche à l'essence de la fiction. Non plus comment le texte la raconte mais ce qu'elle est au fond d'elle, de son existence propre, qu'elle est son autonomie, son indépendance. Les mots sont ils toujours autant liés à leur sens qu'on le dit?


Laissant le texte de Büchner "de côté" nous avons cherché ensemble à partir d'improvisations comment raconter cette histoire. Non pas avec "nos" mots mais avec des mots qui seraient neufs et se renouvelleraient sans cesse comme des mots du présent pur. Pour des enfants de la génération de l'instantané que nous sommes, du direct et de la communication live, il paraissait tout naturel de se jeter sans filet dans cette problématique.
C'est un travail de longue haleine d'autant que je ne savais pas plus que les acteurs dans quelle machinerie je mettais les pieds. Je n'avais jamais travaillé de la sorte et trainais un passé de grande amoureuse des mots et une sorte de complexe d'infériorité vis à vis de ces grands Hommes que sont les auteurs dits du "Répertoire".
Ce travail ci était en tout point différent de ce que nous avions fait avant.


Il s'agissait de nous apprivoiser, de faire groupe autour d'une problématique exaltante mais tellement terrifiante, hantés par les questions dont sont probablement mus tous les jeunes groupes: Doit on s'inscrire dans un courant si courant il y a ? Peut on balayer tous codes de nos ainés? Pouvons nous apporter une nouvelle vision, une nouvelle "forme" théâtrale ? Avons nous les épaules pour cela ? Ne sommes nous pas simplement de présomptueux et orgueilleux mégalomanes ?…
Ce faisant nous avons continué ce que dès lors nous appelions les "traversées de la pièce". Sans préparation les acteurs recevaient comme consigne de raconter la pièce. La seule contrainte que je leur fixais était cette table comme lieu de naissance de la fiction, de retour, comme un lieu de non jeu.


Comme si l'histoire émanait de cet objet et la fiction circulait entre les acteurs en passant par lui. Ce faisant la fiction naquit, notre fiction. Un jeu d'équilibre fragile s'installa entre le jeu et le non jeu, les acteurs et les personnages, le texte de Büchner et celui de l'instant présent. Mon rôle, un mixage entre celui d'un entraineur sportif (il parait indispensable que l'acteur soit convenablement soutenu et en confiance pour qu'il se laisse "accoucher" et qu'il puisse prendre le pouvoir et s'émanciper du metteur en scène) et d'un chef d'orchestre (dans la mesure où le spectacle ne s'oriente pas vers une forme dite définitive et fixe je me dois de guider pas à pas la partition de chacun).
Plus nous nous éloignions de la pièce de Büchner plus nous nous approchions de son essence, plus nous nous interrogions sur notre travail (ayant instauré une sorte de procédé simili démocratique mon statut fut à plusieurs reprises plus que bousculé…!) plus nous effleurions ce qui au fil du temps était devenu un objectif commun, un but à atteindre… Si nous l'avons atteint ? Loin s'en faut mais nous continuons notre recherche, notre quête d'une sorte de fébrile équilibre entre l'improvisation et l'écriture plateau, entre la beauté de l'image et la rudesse des matériaux que nous utilisons pour ce faire.
En bref, tout reste encore à créer…

Sarah Gerber

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