: Le plus violent et le plus juste des réquisitoires
par Gildas Bourdet
Les personnages de L’atelier sont des gens de peu. Mais peu n’est pas rien, de
beaucoup s’en faut. Petites gens à qui toute idée de grandeur est étrangère, ce sont
des héros qui ignorent l’héroïsme. Avant que Grumberg ne les convoque dans la
lumière sur la scène du théâtre où sans lui ils n’avaient guère de chance de figurer,
ils ont vécu dans l’épaisseur d’une réalité obscure sans autre ambition que de
survivre, durs à la peine et peu enclins à s’apitoyer sur leur sort. Ils sont dignes sans
chercher à l’être, et s’il peut leur arriver d’être mesquins à l’occasion, ça n’est ni plus
ni moins que tout un chacun.
Comme tous les gens du peuple, ils préfèrent rire que pleurer et ne sont pas dénués
d’un humour dont on ne sait trop s’il est ou non volontaire.
Ils vivent à la place que le destin leur a assignée, sans révolte ; c’est un luxe qu’ils ne
peuvent pas s’accorder. Ils s’adaptent à leur condition sans se lamenter parce que
les lamentations ne feraient qu’accroître le malheur. Ils laissent la chose aux
littérateurs, et Grumberg n’est pas un littérateur. Le travail structure leurs
existences. L’atelier où ils passent le plus clair de leur temps résonne de leurs
paroles, c’est à peine si l’on dirait que Grumberg a besoin de les organiser en
dialogues, à peine s’il lui faut y mettre sa patte tant il semble que le souvenir est la
matière même de l’oeuvre.
Il y a quelque chose de tchekhovien dans cette écriture-là, à ceci près que ce n’est
pas le désoeuvrement qui pousse les personnages à parler, mais le travail, et que ce
qui se dit n’est pas la difficulté à vivre mais l’impérieuse nécessité de
survivre.
L’Atelier est une comédie parce que la tragédie qui s’est déroulée est close avant
que la pièce ne commence. Mais cette comédie nous dit la tragédie aussi haut et
aussi fort que le plus violent et le plus juste des réquisitoires.
Dossier de présentation du spectacle, des Célestins à Lyon (2000)
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