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L'Atelier

mise en scène Gildas Bourdet

: Rire et pleurer au même instant

par Jean-Claude Grumberg - 26 octobre 1997

J’écrivis L’Atelier durant cinq années avec la certitude quotidienne que je n’irais pas au bout, l’autobiographie étant à mon avis incompatible avec le théâtre. De plus les personnages viennent travailler et non s’exprimer. La parole, le discours, fondements du théâtre n’allaient-ils pas passer au second plan ruinant mes efforts ?

J’ai failli arrêter bien des fois et sans le soutien de Théâtre Ouvert et de Maurice Bénichou ainsi que l’enrichissement dû aux improvisations que nous fîmes avec les actrices qui finirent par créer la pièce à l’Odéon, je crois bien que j’aurais laissé tomber. Dans ce cas - c’était mon plan - je n’aurais plus rien écrit pour le théâtre. J’avais fait de L’Atelier un passage obligé : si j’étais réellement un auteur de théâtre, après le succès de ma pièce précédente Dreyfus, je devais parler de ça. Mettre en scène ma mère, la déportation de mon père, l’après-guerre, la vie précaire, le malheur et le bonheur de chaque instant, le fil qui casse, la surdité et l’indifférence administrative, l’attente vaine dans les bureaux, les faux espoirs, les faux actes de décès, etc. En plus il fallait pour que ce soit quand même du théâtre, faire rire et pleurer si possible au même instant.

Des amis autour de moi pensaient que j’étais victime d’une obsession ! La guerre est finie depuis trente ans, nous sommes en 1975, jusqu’à quand, jusqu’à quand vas-tu te complaire là-dedans ? La pièce terminée fut créée à l’Odéon, elle eut un succès mondial. Succès qui m’accabla. Comment me réjouir d’être applaudi de la disparition de mon père et du malheur de ma mère ?

Aujourd’hui, vingt ans après, à la veille de cette recréation marseillaise, j’avoue, oui, j’étais victime d’une obsession ! Incapable de parler d’autre chose, le mari, la femme et l’amant m’étaient interdits, seuls les placards où l’on se cache m’étaient autorisés, mais voilà, en vingt ans, comme si le cours du temps s’était inversé, l’obsession s’est généralisée.

Ce que nous abordions en tremblant dans la solitude de notre douleur est maintenant hurlé dans une obscène cacophonie multimédiatique. Ce qui nous semblait de l’ordre de l’indicible s’étale maintenant partout dans un désordre de la pensée propre aux propos des obsédés. Cette histoire est sans fin, cette histoire rend fou. Pouvais-je penser en écrivant L’Atelier qu’il y aurait un jour des fous négationnistes ? Oui, plus le temps passe, plus nous replongeons tous et toutes dans cette histoire. Peut-être aura-t-il fallu ces cinquante années pour comprendre et admettre que cette histoire n’est pas seulement l’histoire des Juifs, des Allemands et de Vichy, que cette histoire ouvre un chapitre inédit dans l’histoire de l’humanité et que ce chapitre a pour titre Inhumanité.

Le théâtre est-il le lieu adéquat pour évoquer cette inhumanité, moderne avatar de la barbarie de nos ancêtres ? Le théâtre est-il le lieu adéquat pour soigner l’obsession?

Sans espoir, aujourd’hui, je cherche une nouvelle obsession, intime, bien à moi, seulement voilà, en cette matière, on ne choisit pas.

Dossier de présentation du spectacle, des Célestins à Lyon (2000)

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