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Kreuger's Business

mise en scène Eric Salama

: Scénographie

Pour ce texte, l’espace et la scénographie ont à mon sens une importance capitale. Actions, obligations, taux de change, monnaies sont les personnages principaux de cette histoire au même titre qu’Ivar Kreuger lui-même. Tous ces titres, ces valeurs virtuelles, ces instruments abstraits sur lesquels repose le monde de la finance doivent se matérialiser sur scène pour y trouver une représentation ludique et concrète. Et pour ce faire, il faut passer par l’allégorie : comment en effet pourrait-on représenter de façon naturaliste des entités aussi dénuées d’existence physique que des titres boursiers ?


J’ai donc choisi un décors évolutif qui, montrant au début la salle de classe où des jeunes élèves suivent un cours sur l’économie de marché, se transforme petit à petit en jeu de monopoly géant. Petit à petit, titres boursiers, billets de banques, boîtes d’allumettes géantes (car c’est aussi du commerce des allumettes qu’il s’agit), s’entassent sur un sol représentant une carte du monde jusqu’à former des piles énormes, structurant tout l’espace, comme les hôtels et les maisons remplissent les cases du monopoly à mesure que la partie avance.
Mais ici nous n’avons pas l’impression, comme au monopoly d’être au-dessus du jeu, mais à l’intérieur. Pour donner un exemple de l’esthétique expressionniste et baroque qui m’intéresse, je pourrais citer le film Brazil de Terry Gilliams.


Enfin, lorsqu’on arrive au crash de 1929, toute cette construction part en morceau, billets de banque, titres boursiers, volent dans l’espace et retombent sur le plateau qui se transforme en un océan de papier et la suite du spectacle se poursuit au milieux de ces valeurs financières qui semblent flotter sur scène comme des bouteilles à la mer.


Si j’ai déjà par le passé, travaillé avec des décors évolutifs de ce type, c’était plutôt dans une esthétique dépouillée et minimaliste. Ici, il y a une dimension baroque qui vise à provoquer chez le spectateur une sensation de vertige, d’étrangeté, comme si ce dernier entrait, (comme Alice dans son pays des merveilles), à l’intérieur d’un monde aux règles étranges (celui de la finance) sans ligne droites, fait de lignes brisées, de valeurs changeantes à la foi bien réelles et insaisissables semblant surgir du néant, de courbes fuyantes qui semblent se refermer autour de masses monétaires qui incurvent l’espace, et déforment les perspectives comme les masses de matière courbent dans notre monde physique, l’espace de la relativité d’Einstein.


Comme dans un rêve où, l’univers abstrait de la finance, le spectateur aurait l’impression qu’il peut le toucher, le saisir même physiquement, le tenir entre ses bras. Car c’est par là que le spectacle pourra échapper au cadre de la simple leçon ou conférence pour entrer de pleins pieds dans celui du théâtre. Et puis, se faire une représentation mentale, matérielle et concrète des choses c’est déjà une manière d’avoir prise sur elles, et ici, c’est un moyen de se défaire de cette idée que, les questions économiques sont une fatalité qui nous échappe, sur laquelle nous n’avons aucune prise, aucun moyen d’action.

Eric Salama

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