L’économie nous apparaît généralement comme une matière ardue, complexe, obscure même, difficile à comprendre pour tout un chacun. On a bien tous une opinion, une idée sur la question, mais pour former cette opinion, on s’en remet le plus souvent aux avis des spécialistes, des « personnes autorisées » comme on dit, bien empruntés que nous sommes pour nous frayer un chemin vers une vision concrète et claire dans la jungle des chiffres, des concepts et terminologies qui fondent le langage abstrait de la finance.

Pourtant, c’est un sujet qui exerce une influence déterminante sur nos existences, notre quotidien et sur l’organisation de nos sociétés. A ce titre, c’est un sujet qui se doit d’occuper une place dans la création théâtrale.

Cela fait maintenant plusieurs années que cette problématique de la représentation des mécanismes économiques sur scène m’intéresse tout particulièrement, si bien que lorsque Philippe Macasdar m’a proposé de lire Kreuger’s Business, la pièce m’a immédiatement séduite, et ceci pour plusieurs raisons :

• A la lecture du texte, j’ai réalisé avec stupéfaction à quel point la situation de 1929 ressemble à celle que nous vivons aujourd’hui. Je pensais que, de par la distance historique, ces deux crises étaient, au-delà de certaines similitudes, ancrées dans des réalités et des mondes bien différents. Or la pièce nous montre que le contexte structurel, et surtout idéologique de l’époque est proche de ce que nous connaissons aujourd’hui. Ce regard sur le passé nous permet ainsi d’appréhender notre présent sous un éclairage étonnement pertinent.

• De façon générale, l’humour est présent d’un bout à l’autre de la pièce, qui est par ailleurs extrêmement bien rythmée, proposant notamment des séquences de suspense, d’autres où tout semble « s’emballer », qui alternent avec des passages plus calmes et propices à la réflexion. Tout cela lui confère une véritable théâtralité et invite à un jeu extrêmement ludique.

• Sa forme fait écho à une démarche que j’ai initiée depuis un certain temps déjà : nous faisant voyager rapidement d’un lieu à l’autre, écrite pour que plusieurs dizaines de personnages soient interprétés par un nombre réduit de comédiens, elle suppose de s’affranchir du naturalisme, de l’illusion de réel, de jouer sans cesse avec les codes et conventions du théâtre afin d’inciter le spectateur à user de sa propre imagination, de titiller sa curiosité pour l’inviter à nous rejoindre.

• Les mécanismes et les principes de l’économie de marché et de la finance y sont présentés de façon tout à fait concrète, ludique et terre-à-terre, à travers des exemples simples, drôles, qui rendent totalement accessible ce qui si souvent nous paraît infiniment complexe et hors de portée. On réalise alors que derrière l’écran de fumée de méthodes complexes, se cachent en vérité des principes très simples, voir même simplistes.

Tout cela me laisse penser qu’il y a là matière à un spectacle intelligent, drôle et vivant, à un spectacle qui, en nous aidant à comprendre par nous-même le fonctionnement d’un néolibéralisme qui aime à se présenter comme l’unique alternative aujourd’hui, inviterait à une approche lucide, critique et libre de l’économie de marché.

Eric Salama