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Kaïros, sisyphes et zombies

mise en scène Oskar Gómez Mata

: Que faisons-nous ici ?

Propos recueillis par Eva Cousido

Mélange truculent de philosophie et de physique, la dernière création de l’Alakran arpente notre temps et nos contradictions avec une vitalité décapante. Entretien avec son concepteur, le metteur en scène et acteur Oskar Gómez Mata.


Autour de l’idée du « bon timing », Kaïros, sisyphes et zombies élabore une série de concepts libres et rigoureux, inspirés par la physique quantique et l’état du monde. Objet affranchi et singulier, le spectacle se compose d’instantanés comiques surprenants, véritable feu de joie qui chatouille vigoureusement la capacité d’inertie de chacun de nous. Sous ses airs clownesques et son esthétique dévergondée, cette création propose une pause dans la course effrénée du temps l’instant d’une question fondamentale : « Que faisons-nous ici ? ». Une invitation à revisiter notre manière de concevoir la réalité, nos désirs et nos besoins essentiels.

EVA COUSIDO: Oskar Gómez Mata, comment vous appropriez-vous la notion de kaïros ?


OSKAR GÓMEZ MATA: Kaïros est un temps hors du temps linéaire et chronologique, c'est-à-dire hors du temps régi par Chronos qui est celui de la répétition. C’est le temps opportun à l’action. Je suis arrivé à ce concept par la physique quantique et par Jung, avec ses recherches sur l’inconscient et les archétypes. Il montre que tout individu est relié à un substrat collectif. En amont encore, c'est l'artiste français Robert Filliou qui m'a inspiré le mélange de physique et de philosophie orientale. Je me suis aussi nourri d’études scientifiques qui traitaient de la synchronicité. Il s’agit de comprendre comment des événements qui ne sont pas soumis à la loi de « cause à effet » prennent un sens dans notre vie. Être en kaïros est être dans un état d’acuité où l’on perçoit le tout. Dans le spectacle nous utilisons d'ailleurs le Yi-King, la méthode de divination chinoise.


EC: En somme, vous vous êtes intéressé à tous ces phénomènes qui surviennent dans notre existence et qu’on ne peut pas expliquer, ces pressentiments ou étranges coïncidences. Mais pourquoi la physique quantique?


OGM: La physique quantique explique le double état de la matière. Une particule de matière peut avoir deux états simultanément : être à la fois solide et être aussi une onde, donc visible et invisible. C’est notre observation qui lui donne une position dans le temps et dans l’espace. Autrement dit, la réalité est construite par celui qui l’observe. Et les réalités se superposent. La vie est un point de vue que chacun peut modifier.


EC: Que visez-vous par ce propos?


OGM: A refuser la fatalité, à éviter de tomber dans le fatalisme de la peur, qui peut être un moteur terrible en politique notamment. L’important est de rappeler que chacun peut choisir.


EC: Pourquoi avoir accolé les termes « sisyphes et zombies » à Kaïros ?


OGM: Sisyphe est celui qui répète les mêmes actions à l’infini. Il est enfermé dans un cercle. Le zombie est un être entre deux mondes, entre la vie et la mort, tout comme kaïros est un temps intermédiaire, entre deux moments du temps linéaire.


EC: Donc même si nous saisissons Kaïros, nous restons des sisyphes ?


OGM: Sauf si nous devenons des zombies conscients et utilisons notre esprit critique. On peut alors trouer la réalité et sortir de cette boucle, ou du moins reprendre notre vie en mains.


EC: Le motif du trou dans la réalité revient souvent dans Kaïros. Qu’entendez-vous par là ?


OGM: Dans mon travail, je cherche toujours à donner un aspect pratique et ludique aux notions philosophiques. Trouer la réalité est un acte très concret : tout le monde peut prendre une perceuse et trouer un mur. Le trou nous permet de voir à travers, plus loin. C’est une façon de transformer la réalité.


EC: La distribution de Kaïros est très métissée. Vous employez aussi des accessoires ethno. Est-ce une façon de faire écho à la globalisation ?


OGM: C’est plutôt la question de l’Autre qui m’intéresse. En mélangeant des acteurs d’origines et de langues maternelles différentes, la question de la communication s’est posée. Et il a fallu inventer une autre manière de communiquer… Kaïros parle aussi de cela.

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