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In a world full of butterflies, it takes balls to be a caterpillar...some thoughts on falling

Robyn Orlin ( Chorégraphie )


: Entretien avec Robyn Orlin

Propos recueillis par Gilles Amalvi

Dans votre note d'intention, vous évoquez l'image de l'homme tombant des tours du World Trade Center. De quoi cette image est-elle le symbole pour vous, et quel type de moteur a-t-elle mis en route ?


Robyn Orlin : Le point de départ, c'est cette anecdote survenue lorsque je travaillais sur une mise en scène à l'Opéra de Paris. Je voulais utiliser l'image de l'homme tombant des Twin Towers. Cela a déclenché une réaction de rejet très violente de la part des danseurs, qui se sont mis en grève. Il y avait d'autres raisons, mais cette vidéo a mis le feu aux poudres. Je comprends la violence que peut susciter cette image, c'est effectivement une image très polémique – et pas uniquement à cause de l'impact des attentats du 11 septembre. Elle provoque : dans le sens où elle provoque de nombreuses émotions, elle renvoie à des peurs profondément enfouies. Il se trouve que j'étais à New York au moment des attentats, j'ai vu le deuxième avion s'écraser sur la tour. Cela m'a très profondément affectée, pendant très longtemps. Ce que je n'arrive pas à comprendre, c'est pourquoi personne ne veut en parler – pourquoi ce refoulement, alors que cet attentat est fondateur de la réalité dans laquelle nous vivons ? Peut-être qu'il est trop difficile d'évoquer ce sujet. Personnellement, ce n'est que maintenant que je peux commencer à regarder des images de l'évènement. L'une des photos que je peux regarder est celle de l'homme en train de sauter. C'est en quelque sorte une allégorie du XXIème siècle. Je crois que nous avons tous l'impression de sauter du haut d'un bâtiment. Nous ne savons pas où nous allons atterrir, comment nous allons aterrir. Tout paraît tellement instable. Cette réaction des danseurs m'obsède, ainsi que l'image ellemême – mais ce n'est pas le sujet de la pièce, plutôt son arrière-plan. Cela a été le déclencheur d'une réflexion plus large sur la chute et l'état du monde au XXIème siècle. L'image est ce qu'elle est, on ne peut rien en tirer à proprement parler. Ce qui m'intéresse en revanche, c'est de creuser cette idée de la chute, d'essayer de voir ce qu'elle signifie, pour moi, pour les interprètes avec lesquels je vais travailler, pour les gens, aujourd'hui, en général. On tombe amoureux, l'amour s'écroule, on tombe en dansant, on tombe en courant, on tombe des nues, on tombe enceinte, on tombe dans les pommes... Cette idée de chute est remplie de tant de choses – de peur, d'excitation, de danger. Elle convoque la différence. J'aimerais trouver un moyen de déplier les ressorts imaginaires de cette idée.


La danse – le ballet en particulier – entretient une relation très ambiguë à la chute. La chute est le cauchemar de tout danseur, ce contre quoi il ne cesse de lutter.


Robyn Orlin : Effectivement, le ballet est très intéressant de ce point de vue : toute la danse classique est concentrée vers l'envol, la suspension – dans la terreur de la chute. Le sol sert à se propulser, pour s'envoler. Tout tend à nier l'idée de la chute. La technique classique cherche à empêcher de tomber.


Pour déplier l'idée de chute, et élargir la portée des images du WTC, vous êtes allée chercher du côté des mythes – qui symbolisent ces « peurs enfouies » dont vous parliez. Comment cette couche « mythique » sera-t-elle présente dans le travail ?


Robyn Orlin : Pour moi, l'homme qui tombe de la tour symbolise le mythe d'Icare – un mythe fascinant, et très éclairant pour comprendre le monde contemporain : cette idée de se rapprocher toujours plus près du soleil correspond à une pulsion insatiable de l'humanité – que le capitalisme représente parfaitement. Pour me détacher du contenu terrible de cette image, qui est à la fois belle, fascinante, terrible, triste – j'ai cherché à la prendre comme une allégorie ; par là, je ne dis pas qu'il faille oublier le contexte de l'évènement – le terrorisme, Ben Laden, etc. Mais relire ces évènements à la lumière des mythes permet de mieux les comprendre. Et les deux mythes fondateurs dont je voudrais me servir pour creuser cet événement, ce sont Icare d'un côté, et la chute de la tour de Babel de l'autre.


Pour cette création, vous allez travailler avec deux danseurs, Eric Languet et Elisabeth Bakambamba. Avez-vous déjà des idées sur la manière dont vous allez procéder ?


Robyn Orlin : Je crois que les deux performances vont s'articuler autour de ce que chacun des danseurs vont construire avec la notion de chute – ce qu'elle peut signifier pour eux, comment ils se l'approprient. Eric Languet est à la Réunion, et Elisabeth Bakambamba est en Autriche, du coup pour le moment, nous échangeons des idées par internet. Je leur envoie des questions, de manière à avoir une base de travail avant de commencer. Je sais déjà que chacun d'eux va apporter, et traduire des matériaux, des idées très différentes. J'ai déjà travaillé avec Elisabeth, notamment sur la pièce ...have you hugged, kissed and respected your brown Venus today, mais c'est la première fois que je travaille avec Eric. C'est vraiment un danseur – il danse très bien. Il a dansé avec DV8 par exemple. C'est lui qui m'a proposé de danser dans une de mes pièces. Pour ma part, je n'ai pas envie de travailler avec quelqu'un juste pour le plaisir de travailler avec lui, mais parce que quelque chose m'intéresse en lui. Pour le travail avec Eric, j'aimerais partir du film Les ailes du désir, et de cette figure d'ange : essayer d'opérer une déconstruction, et un redéploiement imaginaire du film de Wim Wenders. Je ne sais pas encore du tout dans quelle direction cela peut m'amener, mais cela me servira de tremplin. L'ange, dans le film de Wenders, voudrait pouvoir agir sur la réalité qu'il contemple. Mais pour pouvoir entrer en contact avec la réalité, il faut qu'il renonce à ses ailes – ce qui est, là encore, une forme de chute. Pour Elisabeth, j'avoue ne pas encore être certaine à cent pour cent – mais je pense que je vais partir de l'image de la femme noire, et de la manière dont certaines figures de femmes noires – Billie Holiday ou Nina Simone par exemple – se sont servies de la souffrance, de la chute comme élan créateur, comme énergie, force créatrice. Ce serait une manière de prendre la chute sur son versant métaphorique. Une autre question qui est encore en suspens concerne l'agencement des soli. Il y a plusieurs possibilités : des soli côte à côte, l'un après l'autre, ou entrelacés.


Les exemples que vous citez, Nina Simone, Billie Holliday, sont des chanteuses : pensez-vous utiliser la voix ?


Robyn Orlin : Oui, absolument. Mon seul problème, c'est qu’Elisabeth n'est pas chanteuse. Ceci dit, elle a une voix intéressante. Lorsque nous avions travaillé sur ma pièce autour de la Vénus hottentote, ...have you hugged, kissed and respected your brown Venus today, nous avions travaillé sur beaucoup de matériaux vocaux – par exemple sur le bégaiement. Du coup, il est tout à fait possible que j'utilise la voix dans le cadre de son solo.


Lors de vos échanges sur Internet, sur quelle base échangez-vous ? Des textes, des images, des vidéos ?


Robyn Orlin : Dernièrement, j'ai réalisé des sortes de photos-montages correspondant à un certain niveau imaginaire convoqué par la pièce. Je me suis amusée à prendre le titre de manière littérale, à travailler sur l'image de la chenille et du papillon – à opérer des greffes assez étranges et monstrueuses entre des corps, des ailes, des formes de cocon. Ces images ont beaucoup plu à Elisabeth. Eric les a trouvées très « camp »« Camp » est un terme utilisé pour désigner un style esthétique et culturel lié au mauvais goût, mais teinté d'ironie..


En vous écoutant, j'ai l'impression que cette pièce cherche à convoquer à la fois une forme de littéralité très forte, et un niveau allégorique beaucoup plus large. Voulez-vous provoquer une friction entre ces deux niveaux de lecture ?


Robyn Orlin : Oui tout à fait. Je crois que cette friction sera au coeur du travail, cet écartèlement entre l'aspect direct, très physique, et les couches imaginaires entrelacées.


Cette pièce semble porter un regard très personnel sur l'état du monde. Est-ce que cette création a une valeur particulière pour vous ?


Robyn Orlin : Pour moi, cette pièce représente une sorte de retour aux sources – je voudrais travailler de la manière dont j'ai créé mes premières pièces, avec la même énergie, la même radicalité, sans me poser de questions. C'est une pièce à petit budget, j'ai besoin de très peu de choses – je ne veux pas de gros décors, de moyens énormes. Mais je voudrais aller toucher à l'essence de ma question. Actuellement, j'ai presque trop d'idées, de matériaux, tout se bouscule dans ma tête, et le sujet est énorme, effrayant ; dans la mesure où je vais travailler seule, sans vidéaste, sans scénographe, sans costumes, j'ai besoin de me retrouver dans un studio vide avec les danseurs pour que ces matériaux décantent et que la pièce prenne forme.

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