Jʼai toujours été frappé par le profond silence qui au cours de toute son existence, entoura la personne dʼEsprit-Madeleine Poquelin, unique fille de Molière, née en 1665 du mariage avec lʼactrice Armande Béjart et morte à lʼâge de cinquante-huit ans, en 1723. Le destin, en lʼéloignant du théâtre, lui assigna dans la vie le rôle de ces personnages dramatiques auxquels, sous aucun prétexte, il nʼest permis de se taire.

Toute jeune encore, elle apprit, tel un Hamlet en jupon, des choses infamantes, vraies ou fausses, sur la vie de son père et de sa mère. Au moment où, comme les autres jeunes filles de son âge, elle attendait la visite de la bonne et généreuse fée, on lui apporta de bon matin le cadeau dʼune invisible sorcière : le libelle infamant intitulé Les Intrigues de Molière et celles de sa femme ou la Fameuse Comédienne. Personne ne put lui cacher le secret, partout divulgué, quʼelle était le fruit dʼun mariage incestueux et que sa mère (comme certains le soutenaient) était même la fille de son propre père. Pourtant elle ne fit jamais entendre sa voix.

Pourquoi ? Pourquoi dans son désespoir ne lança-t-elle pas de hauts cris raciniens et des monologues forcenés pour répéter aux quatre vents quʼelle ne croyait pas et quʼelle nʼavait jamais cru à ces infamies ? Pourquoi choisit-elle le silence ? Pourquoi sʼest-elle accommodée du rythme tranquille et bourgeois dʼune existence quelconque, elle que les dieux et les événements avaient appelée à respirer lʼair supérieur et répugnant dʼune tragédie ?

Ces questions et dʼautres mʼont poussé à tracer un portrait de Madeleine à travers la fiction dʼune conversation avec un interviewer imaginaire, portrait dessiné dʼaprès nature pour ce qui est des éléments extérieurs qui le constituent, en grande partie authentiques, et dans laquelle est naturellement libre lʼinterprétation du personnage, de ce personnage qui nʼa pas trouvé à se réaliser.

Giovanni Macchia