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: Ecriture et dramaturgie

« Les ténèbres ne condamnent pas fatalement à l’emprise du désespoir : elles mettent plutôt chacun au défi quotidien de faire triompher la parole d’alliance sur le maléfice de la confusion primordiale. Ce combat dure toute la vie, car la part de jour gagnée sur les ténèbres manque toujours de stabilité. Il commence dans l’intériorité de chacun, dans le désir difficile et souvent douloureux de faire émerger, en soi, de soi, mais pas seulement pour soi, des pensées, des mots et des actes qui avivent encore le goût de la lumière. »
Catherine Chalier, La nuit, le jour - Le Seuil, 2009


Ecriture


Zinnie Harris situe avant tout son théâtre dans une exploration de notre époque. C’est au moyen de la fable, en s’approchant du mythe grec, par l’allégorie, et l’évocation qu’elle nous entraîne dans une réflexion dépouillée de scories, une pensée épurée et un précis du sens sur ce que nous sommes et ce que nous faisons.


Loin du lyrisme, nourrie de la recherche formelle des écritures scéniques des années récentes, elle parvient à une synthèse dramatique étonnante, entre théâtre de recherche et lisibilité de la fable. Zinnie Harris écrit un théâtre populaire. Et parce qu’il s’agit d’un texte qui s’adresse à un très large auditoire, « Hiver » est une réflexion sur l’écriture théâtrale en même temps qu’une introspection douloureuse sur notre monde en lutte avec lui-même.


Comme beaucoup d’auteurs de l’après-guerre d’Irak et du 11 septembre, Zinnie Harris conjugue les mythes anciens pour écrire son époque. Proche de Sophocle autant que de Bond, elle use du symbole pour écrire un théâtre à la fois politique et humain, dans un souci de grande clarté. Mais ce qui caractérise son texte, c’est l’accessibilité immédiate, une grande sobriété, une économie de moyens qui rend chaque réplique nécessaire, en une écriture ciselée.


Au final de la lecture de « Hiver », nous sommes face à une œuvre d’une permanente profondeur, d’une intense richesse de sens et d’une très grande concision.


Dramaturgie


Lorsque nous accompagnons un enfant à un spectacle, ce spectacle fût-il pour enfants ou pour nous, nous le regardons, par délégation, au travers de son regard à lui. L’enfant est alors à la place du chœur antique avec qui nous considérons les malheurs et les bonheurs du héros, et de qui nous attendons quoi penser, mais à la différence de ces vieillards aux idées conventionnelles et de ces femmes qui se plaignent toujours, personnel ordinaire des chœurs antiques, l’enfant coryphée s’émerveille et juge, sans distance ni délai entre son jugement instantané et son regard immédiat. Il voit l’ordre de la vérité, non l’opinion, et il ne se plaint pas, il jubile.
« Et pourtant, dans nos pas solitaires, nous goûtions la joie que donne ce qui demeure et nous nous tenions dans l’interstice entre l’univers et le jouet, dans un lieu qui, de tout temps, a été créé pour un événement pur. Qui nous indiquera la place de l’enfant ? Qui l’établira dans sa constellation et lui mettra à la main la mesure de la distance ? » (1)
Note : (1) Rilke, Quatrième élégie de Duino
Texte extrait de « Théâtre - Equinoxes, Ecrits sur le théâtre » de François Regnault


Maud recueille un enfant muet, traumatisé par la guerre. L’enfant muet que l’on échange contre une carcasse de cheval mort est cette innocence perdue que l’on cherche à réentendre face à la bestialité meurtrière de notre époque. Elle l’échange contre une carcasse de cheval, puis l’élève, comme s’il était le sien. Elle le conduit dans la vie en tentant de lui redonner la parole. La barbarie fait irruption jusqu’au cœur de nos vies quotidiennes et c’est par la parole que le monde peut se sauver. Devant la guerre et la bestialité, que peuvent l’amour et la compassion ? Puis survient le soldat qui rentre de la guerre et une fois la paix revenue, la famille se recompose. Et de cette paix, l’homme fera une autre guerre, à l’intérieur de la maison, en brutalisant la femme et l’enfant. « Hiver » est une pièce qui parle de la civilisation. Ou plus exactement de la lutte nécessaire pour que le civilisé l’emporte sur l’aveuglement dans nos sociétés.


Le théâtre de Zinnie Harris est d’aujourd’hui : peuplé de ténèbres et de souffrance, il est traversé de lumière et d’espérance. Il repense la fable au théâtre comme une trajectoire, un chemin de la pensée, construit et positif.
Loin de l’anecdote, il retrouve le mot, comme un véhicule premier et symbolique du sens. Zinnie Harris nous demande quel est le statut de la parole aujourd’hui dans nos sociétés guerrières : La parole est-elle semblable à une innocence meurtrie et bafouée ? La parole est-elle une enfance de l’humanité que nous devrions retrouver, parfois au plus profond de nous-mêmes ? Parler est source de mensonge ou bien procuration de vie ? Le mot suffit-il à faire éteindre la violence ? Donnons-nous à nos enfants le droit de parler ?
Cherchons-nous les moyens pour que nos enfants puissent prendre la parole ? Et les personnages de l’histoire nous conduisent dans les méandres du texte, une torche à la main, comme en un labyrinthe, pour en révéler les anfractuosités et les contours et nous faire triompher du Minotaure, de nos peurs et de nos cauchemars.
Réentendre l’humanité de notre monde, retrouver la part civilisée qui fonde notre condition humaine, comprendre intérieurement notre condition d’Hommes ou de Femmes, redéfinir notre dignité, recouvrer la parole disparue au profit de la barbarie : ce trajet de la pièce elle-même est aussi le trajet intérieur de Maud, femme-métaphore de ce qui justifie notre espèce humaine et son progrès.
Pour Zinnie Harris, il ne peut y avoir de progrès sans parole, sans amour et sans mots, donc sans texte et sans écriture. Tout comme il ne peut y avoir de progrès sans pensée et donc sans art.

Guy Pierre Couleau

juin 2010

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