theatre-contemporain.net artcena.fr


: Entretien avec Anton Kouznetsov

Propos recueillis par Jean-François Perrier, juin 2012

Pourquoi avoir choisi l’adjectif « diabolique » pour réunir ces trois nouvelles de Gogol que vous adaptez au théâtre ?


Parce que Gogol, à travers le diable, s’intéresse à la nature religieuse des russes, et ici plus particulièrement des Ukrainiens. Cet intérêt est majeur dans la nouvelle Vij qui met en scène des séminaristes orthodoxes et dans La brouille des deux Yvans, où l’on voit le rapport quotidien et banal qu’entretiennent les Ukrainiens-Russes avec la religion.


La Nuit juste avant Noël est un conte populaire dans lequel le diable est appelé en renfort pour résoudre le problème d’un forgeron dont la fiancée veut comme cadeau de Noël les chaussures de la tsarine...


Cette nouvelle amène un regard presque enfantin sur ce monde russe enfermé dans la minuscule ville de Mirgorod au fin fond de la province ukrainienne où Gogol avait passé une partie de sa jeunesse.


Il a d’ailleurs réuni ces nouvelles sous le titre de Nouvelles de Mirgorod.


Les spécialistes de Gogol assurent que La brouille des deux Yvan est annonciatrice de la rédaction des Âmes mortes que vous avez adapté la saison dernière au théâtre.
Est-ce la raison de votre choix ?


C’est vrai qu’il y a un lien d’écriture entre ces deux oeuvres. Je fais donc un voyage anti-chronologique en partant du grand roman pour revenir à la nouvelle. En fait j’avais envie de continuer de travailler avec les acteurs des Âmes mortes en restant dans l’univers de Gogol. Dans les nouvelles il y a plus de drôlerie et de fantastique que dans le roman mais ce sont vraiment des univers très proches.


Beaucoup de Russes pensaient, et souvent pensent encore, que c’est l’orthodoxie qui sauvera la Russie. Je crois que Gogol n’en était pas sûr. Dans Vij on comprend que c’est uniquement la peur qui rend les Russes croyants ce qui, pour lui, est la preuve que la foi des Russes est toute relative. Si la croyance est guidée par la peur, l’âme est perdue. Le séminariste qui est le héros de Vij combat le diable et le mal en dessinant un cercle de craie dans lequel il se sent protégé. Ainsi, il combat le mal en utilisant des symboles magiques et non la Bible. Pour utiliser une image musicale, on pourrait dire que dans Vij il y a des notes qui sont communes avec celles des Âmes mortes mais que la partition est inachevée.


La partition serait en esquisse dans les trois nouvelles ?


Certainement puisque dans Les Âmes mortes, il y a à la fois une légende, une fresque satirique et la présence en filigrane d’une pensée religieuse et cosmique sur le paradis, l’enfer et le purgatoire. J’aimerais bien inscrire dans la scénographie des Histoires diaboliques ce lien avec Les Âmes mortes en conservant tout ou partie du décor que nous avons imaginé avec Guilio Lichtner la saison dernière.


Le diable est souvent présent dans la littérature russe ?


Oui et le plus souvent il vole. On le trouve chez Gogol, chez Pouchkine, chez Boulgakov. Chez eux le ciel est empli de créatures diaboliques alors que pour les chrétiens des autres religions, il est plutôt le domaine de Dieu et de ses anges.



Quelle est la particularité de Gogol dans la littérature russe ?


Étrangement Gogol dérange les Russes. Ils admirent Pouchkine, ils aiment le côté roman policier chez Dostoïevski. Gogol apparaît comme celui qui met le doigt sur les choses désagréables. On peut avoir le sentiment de s’enfoncer dans son oeuvre comme on s’enfoncerait dans un marais un peu nauséabond. Moi j’y reviens toujours car je crois qu’il a touché une sorte de vérité « éternelle » sur ce qu’est la Russie, celle d’hier et celle d’aujourd’hui. Il manie la satire et le grotesque d’une façon unique, il manifeste la mélancolie et le désespoir profond qui peut s’emparer des Russes quand ils se regardent dans un miroir et qu’ils envisagent leur histoire présente et future.


Il n’y a que la peur ou le malheur qui mobilise le peuple russe et qui peut le rendre héroïque. Il faut relire Tarass Boulba, une autre nouvelle de Gogol, dans le recueil dit de Mirgorod, pour bien comprendre comment naissent les héros russes. Je crois que chaque Russe a son Gogol comme il a son Pouchkine même si tout le monde est d’accord sur le pessimisme profond qui anime l’oeuvre de Gogol.


Chaque nouvelle a une forme d’écriture particulière, très dialoguée pour l’une, sous forme de monologue pour une autre... Comment envisagez-vous l’adaptation pour le théâtre ?


Nous avons imaginé une pièce qui se déroule en trois jours et trois nuits, ce qui permettra de traverser les trois nouvelles et de mêler les trois histoires en conservant l’originalité de chaque récit et sa forme particulière.


Les comédiens joueront donc plusieurs rôles en fonction des besoins de chaque histoire, avec un personnage qui déroulera comme un fil rouge entre ces jours et ces nuits.

imprimer en PDF - Télécharger en PDF

Ces fonctionnalités sont réservées aux abonnés
Déjà abonné, Je me connecte Voir un exemple Je m'abonne

Ces documents sont à votre disposition pour un usage privé.
Si vous souhaitez utiliser des contenus, vous devez prendre contact avec la structure ou l'auteur qui a mis à disposition le document pour en vérifier les conditions d'utilisation.