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Hate (Tentative de duo avec un cheval)

+ d'infos sur le texte de Laetitia Dosch
mise en scène Laetitia Dosch

: Un duo avec un cheval

par LAETITIA DOSCH

Pour une raison trouble il m’a semblé que la meilleure façon de parler de notre époque était de le faire en compagnie d’un cheval, un vrai cheval, tout seul avec moi sur scène. En 2017, j’ai commencé à écrire un journal intime et pour se faire, je suis partie en voyage, à Rome, à Calais, j’ai participé et observé la dernière campagne présidentielle.


J’y raconte aussi mon quotidien. Nous sommes dans une époque dont nous commençons à questionner fortement le fonctionnement et les valeurs tout en en restant prisonniers, nous commençons à peine à imaginer ce que nous pourrions construire de nouveau. Il est difficile de créer un spectacle aujourd’hui sans se remettre en cause profondément soi-même et le monde qui nous entoure.Dans mes deux soli, Un Album et Laetitia fait péter, j’utilisais des personnages qui incarnaient le désordre que je sentais autour de moi. Une idée était traduite par un détail, une intonation ou une façon de se gratter la main. Le collectif s’illustrait dans le particulier, le particulier avait une dimension métaphysique.


Dans un passage des Corvidés, duo formé avec Jonathan Capdevielle pour un Sujet à Vif au Festival d’Avignon, j’essayais une écriture plus intime, comme secrète, à la première personne du singulier Ce texte parlait de la pulsion de destruction de l’autre que provoque l’amour, mais on pouvait l’élargir à notre besoin de détruire en général, l’animal, notre environnement, nos rivaux, la femme, l’étranger, puisqu’elle partait du même endroit, notre violent besoin d’assujettir. Les spectateurs ont ri, m’en ont parlé, ont été émus. Je voulais creuser ce sillon.Il y aurait donc moyen de parler du collectif en parlant du particulier, avec une écriture plus personnelle. Si tant est qu’on trouve la bonne forme. Il fallait une forme esthétique qui éloigne tout désespoir ou culpabilité, mais qui amène de la beauté et du ludique, qui ouvre vers l’avenir. Cette forme, je l’ai trouvée en rencontrant un cheval.


En 2016 j’ai été amenée à travailler avec un cheval aux États-Unis lors du tournage d’un film. La beauté de l’animal, son extrême sensibilité, son attention à l’humain et aux autres chevaux, et la relation que j’ai pu nouer avec lui, étaient d’une grande délicatesse, et semblaient étrangement appartenir à une relation utopique entre l’homme et l’animal, et même entre l’homme et l’homme ; une sorte de modèle à suivre.


Je crois qu’on a beaucoup à apprendre des animaux. Déjà pour la bonne raison que Gandhi n’aurait jamais pu dire « On reconnaît le degré de civilisation d’un animal à la manière dont il traite l‘humain ». Nous avons aussi beaucoup à apprendre encore sur notre façon de les traiter ; ce sont d’ailleurs des questions qui travaillent notre société actuellement. On les aime et on les mange, on les adore à tel point qu’on les châtre pour en faire nos compagnons, on les aime donc comme objets, nous les maîtres et possesseurs. Derrière la thématique du rapport homme-animal, il y a plus largement celle du rapport à l’autre. L’animal est d’une autre espèce, c’est l’altérité absolue.


Que crée ce sentiment d’altérité chez l’humain ? Est-ce qu’elle le pousse à se méfier de l’autre, quitte à vouloir le détruire, ou au contraire le pousse-t-elle à l’admirer, à le fantasmer, ou encore à le maîtriser ? Est-ce qu’on peut voir l’autre vraiment, sans appréhension ni aversion ? Un rapport de confiance véritable est-il possible ?Je voulais apprendre de la sagesse d’un cheval, le faire parler, inventer sa pensée, son regard sur notre espèce, des chansons aussi. Je souhaitais revenir à une relation plus primitive, peut-être plus essentielle à l’autre ; découvrir un autre monde, passer trois mois à répéter « chez un cheval », dans un manège, avec Judith Zagury, une dresseuse qui refuse qu’on l’appelle comme ça.


Pour travailler avec une équipe plus grande, et une nouvelle fois avec Yuval Rozman, dans des théâtres qui aiment les artistes et les animaux. Pour s’autoriser à écrire de la poésie. Pour ramener du féerique, du conte, du rêve. Du cauchemar aussi. De l’utopie peut-être un peu, qui sait ?


Hate essaye de mettre deux espèces au même niveau. Une utopie bien sûr. C’est une fable sombre, où il est donné un peu plus de liberté que d’habitude à une femme et un cheval. Mais les réalités de demain ne prennent-elles pas racine dans les utopies d’aujourd’hui ? Je l’espère.


Mai 2018

Laetitia Dosh

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