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Guerre

+ d'infos sur le texte de Rainald Goetz traduit par Laurent Muhleisen
mise en scène Paul Camus

: Entretien avec Paul Camus

Travailler et regarder avec la durée

Rencontre avec Alain Cofino Gomez


Alain Cofino Gomez – Malgré ta grande expérience de la scène, il s’agit ici, je crois, de ta première mise en scène ?


Paul Camus – Oui en effet. Cela veut dire que jusqu’ici je n’avais eu aucune velléité à être metteur en scène. Jamais. Or, c’est une chose qui survient… et j’en suis aujourd’hui à le souhaiter. Jusqu’ici je n’ai été qu’acteur et cela me suffisait.


A.C.G. – Est-ce le texte qui t’a amené à cela, je veux dire ce texte précisément; Guerre de Goetz ?


P.C. – C’est un ensemble de choses et d’événements, cela tient plus de la conjonction. Mais, il y a une chronologie qui m’a amené jusqu’ici et l’on peut dire que le texte de Goetz en est vraiment la ligne centrale. Avant tout, il y a trois ans, je crois, j’ai eu le désir d’offrir une lecture à la «profession». Ce n’était pas quelque chose d’ouvert au public, j’avais l’envie de faire connaître à mes pairs un texte que j’estimais important. J’ai donc envoyé un mail plein de retenues où je soumettais mon intention pleine de sobriétés. À cette époque je n’imaginais pas le mettre en scène. Les réponses ayant été positives, j’ai proposé à un certain nombre d’amis acteurs de se prêter à l’exercice de la lecture. Durant le travail préparatoire et même avant cela, en fait, je me suis aperçu que Guerre était une oeuvre plus audible que lisible. Je m’explique; lorsque j’invitais un camarade à lire le texte, celui-ci avait tendance à ne pas comprendre ce qu’il lisait, tandis que pour l’auditoire cela devenait limpide… C’est étrange et très intéressant. Je veux dire que théâtralement cela raconte quelque chose sur la dimension d’un texte.


A.C.G. – Donc, il y a eu une lecture…


P.C. – Et elle nous a plu. Les acteurs qui avaient participé étaient contents du travail. Et tout de suite Isabelle Pousseur et Xavier Lukomski (directeur du Théâtre Les Tanneurs) ont été intéressés par le projet et m’ont questionné sur sa suite. J’ai répondu que je n’étais pas dans cette problématique, celle d’un hypothétique spectacle, mais que je posais un acte pour l’auteur, tout simplement, parce que je trouvais son écriture remarquable et intrigante. Des acteurs ont également posé la question de la mise en scène… et j’ai fini par y réfléchir. Trois mois plus tard, j’ai envoyé un courrier aux acteurs qui avaient lu le texte. Je leur disais en substance que ce qui avait justifié cette lecture pouvait en vérité justifier une mise en scène du texte.


A.C.G. – Finalement, c’est le texte qui s’est imposé petit à petit comme la matière première qui devait t’amener à diriger des acteurs ?


P.C. – Oui, mais sans fulgurance, dans un temps très long. La première fois que j’ai lu du Goetz c’était en 2003…


A.C.G. – Mais dis-moi ce qui t’a interpellé lors de cette première approche de Guerre ?


P.C. – Ce qui me dépasse! (long silence) Les circonstances ont aussi joué un rôle dans le mystère qui entoure ce texte à mes yeux et dans son dévoilement. J’ai commencé par en lire quelques fragments sur le site du Théâtre de la Coline (Paris) et waw ! …


A.C.G. – Oui, mais justement qu’est-ce que ce « waw » ?


P.C. – … (long silence)


A.C.G. – Cela te dépasse…?


P.C. – Oui… Mais … comment dire… J’aimais cela et cela m’attirait intensément … cela, le texte, entendu par fragments, disait quelque chose comme « … cerveau … merde … », j’étais scotché! Bon, il faut dire qu’en tant qu’acteur j’ai la particularité d’avoir traversé beaucoup de monologues et c’est une forme qui me convenait. Par exemple Novarina et bien sûr Kaddish (représentations au Théâtre Océan Nord en 2007), j’y trouvais mon compte en tant qu’homme. Et je cherchais souvent à rencontrer des écritures qui par la forme ou le fond pouvaient m’apporter cette sensation de plénitude, c’est en faisant ces recherches d’acteur seul que j’ai croisé la route des textes de Goetz. Dans Guerre il y a tout, des dialogues comme des monologues, j’étais intrigué par le foisonnement de cette oeuvre et sa masse imposante. Je ne sais pas si cela explique quelque chose ?


A.C. G. – Ce texte t’a fait sentir metteur en scène?


P.C. – Moi, j’ai beaucoup pensé le théâtre. Maintenant ce que j’expérimente c’est le passage à l’acte. Je me pose cette question ; « quel est l’acte de cette pensée ». D’une pensée qui doit s’apparenter à une nécessité intérieure. Je ne sais pas si c’est être en état de mise en scène, mais c’est ce que je tente. Mais profondément, je ne sais pas ce que c’est qu’une mise en scène, je tente de l’appréhender, ou mieux, je veux, volontairement, le comprendre; qu’est-ce qu’une mise en scène ?


A.C.G. – Mais par quel bout t’attaques-tu à cette tâche? Tu es, on va le dire, face à un texte hors norme pour bien des raisons, quel va être ton angle d’approche?


P.C. – A partir du moment où on a fait une lecture et où en lisant on a participé au «faire entendre» un texte, on se rend compte qu’il y a des tas de choses que cette forme, la lecture, ne permet pas. Nos envies, aux acteurs et à moi-même ont souvent dépassé en pensée le cadre de ce que nous nous étions fixés dans cette première étape de lecture. Je veux dire qu’en travaillant la lecture on repère, on remarque des choses qui sont autant d’indices pour une mise en scène. La lecture est un en deçà du texte écrit pour le théâtre. La langue qui s’exprime nue, lors d’une lecture, indique pourtant des tas de choses. Nous avons entrevu des pistes qu’il nous faut maintenant simplement suivre et expérimenter. Niveaux de langages, ponctuations, rien n’est constant dans l’écriture de Goetz mais tout est impérieux. Je veux dire que j’aborde l’oeuvre par le questionnement, je crois. Je crois d’ailleurs que c’est un texte dont la substance et le mode sont le mystère et l’intrigue de la langue avec des éléments codés et cachés dans le texte. C’est une intrigue dont la visée est très ample…


A.C.G. – Ici, la question devrait être; avec un texte si prégnant, comment passer du lire au dire ?


P.C. – Il s’agit d’une autre dimension. Qu’est-ce que « parler » ? Disons qu’on part, simplement et à toutes les étapes du travail, du principe d’ignorance. On ne sait rien du texte et on tente de le comprendre pas à pas. Je ne veux rien projeter dessus.


A.C.G. – Mais tout de même, le metteur en scène fait un travail de visionnaire, non ?


P.C. – Alors, là, je ne suis pas sûr. Je dirais que le metteur en scène a une position singulière par rapport aux éléments qui font le spectacle. L’outil du metteur en scène est manifestement le verbe et il fait face à des personnes dont l’outil est l’acte. C’est tout et aussi simple que cela. Il n’est pas question d’une idée que les uns imposeraient aux autres. Bon, le jour où j’ai décidé de monter Guerre, j’avais assez réfléchi autour et dans le coeur du texte pour décider certaines choses dans des soucis d’équilibre, de respect et d’économie. J’ai donc opté pour un travail qui tiendrait de la performance comme de la représentation. Je voulais que notre équipe se mette dans une disposition qui permette que quoi que l’on fasse, cela soit juste. Voilà, peut-être ce que l’on nomme vision, moi je nomme cela synthèse juste et adéquate à une situation et je le revendique. Après cela, j’ai toujours préféré jouer de l’ignorance et de l’écoute face au plateau.


A.C. G. – Et que va nous donner à voir plus concrètement un tel dispositif de travail ?


P.C. – Concrètement… Il s’agira d’un moment d’arrêt, une mise en image de la pensée. Bon, la pièce traite de la violence, de la violence politique… voilà, il s’agit d’un thème qui me touche particulièrement. Et ce que je peux dire, ce dont je ne doute pas, c’est de la théâtralité de ce qui sera donné à voir. Et, étrangement, c’est une chose que je sais depuis le jour de la lecture. Comment dire, c’est une pièce que l’on doit suivre et non pas précéder. Elle a son rythme, c’est elle qui mène.


A.C.G. – Si je t’entends bien, nous sommes dans un territoire où l’acteur est nu et avance sans artifice, je veux dire que sur la scène, il ne sera question que de jeux sans soutien d'aucune sorte ?


P.C. – Oui, rien d’autre. Je ne veux pas penser une scénographie. Aujourd’hui nous sommes bien obligés de créer une lumière sans quoi on ne verra pas ce qui se déroule sur la scène, puisque le théâtre n’a pas de fenêtre. Je sais bien que la lumière peut être plus mais là, elle sera la réponse à ce fait-ci. Point. (sourire…) Peut-être un peu plus mais bien en deçà de ses puissances poétiques. Par exemple pour ce qui en est de la scénographie, le mieux serait de pouvoir faire sentir son manque. Je pressens trop bien comme il serait facile d’enfermer le texte dans quelque chose de trop construit ou d’utile. Je veux éviter cela, je ne veux surtout pas produire un objet théâtral qui serait le fruit d’une synergie de compétences, si excellentes soient-elles.


A.C. G. – Une des caractéristiques de ce projet réside dans l’étendue de sa forme, c’est un texte qui, s’il est joué dans sa totalité, représente une certaine somme d’heures de spectacle, comment as-tu abordé cette originalité ?


P.C. – Voilà une belle question posée par l’auteur à ceux qui font le théâtre mais aussi aux spectateurs. Voilà un auteur qui écrit quelque chose dont on sait que le passage à la scène donnera un spectacle qui fera 4 heures et demie et ce temps, cette longueur ont un sens et une nécessité à moins de penser l’auteur idiot, ce qui est loin d’être le cas. Il nous devance beaucoup au contraire. Or, nous savons que personne ne peut raisonnablement recevoir cela le soir après une journée de travail. Mais, nous constatons que le texte lui-même semble intégrer cette réflexion, puisqu’il est facilement sécable en trois parties.
Les gens n’ont pas de mal à se retrouver devant un feuilleton en trois parties, il leur est donc offert de vivre une expérience théâtrale en trois fois, rien de compliqué donc, que du bonheur, pour le même prix trois fois plus, c’est dire la générosité de Goetz et là je ne plaisante pas. Il y aura aussi une intégrale un dimanche, une façon différente de vivre ce temps proposé.

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