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Erwan et les oiseaux

+ d'infos sur l'adaptation de Jean-Yves Ruf ,
d'après Fuglane de Tarjei Vesaas
mise en scène Jean-Yves Ruf

: Extrait d’un entretien avec Jean-Yves Ruf pour le Journal de la Comédie de Reims

Propos recueillis par Christophe Lemerre

Christophe Lemerre : Comment est né le projet d’Erwan… ? De quelle idée, quelle rencontre ?


Jean-Yves Ruf : Il y a une dizaine d’années, je commençais le théâtre en montant de petits spectacles avec des enfants de 3 à 8 ans. C’est en partie eux qui m’ont donné envie de faire ce métier. Alors quand Joël Jouanneau (et là tu peux parler de rencontre, j’ai une grande estime pour cet homme-là), quand Joël m’a un jour demandé si je serais d’accord pour créer à Sartrouville un spectacle destiné au Jeune Public, j’ai tout de suite accepté, pensant que ce serait un juste retour des choses.


CL : Est-ce que tu le pensais, pendant les répétitions comme un spectacle pour enfant ? Est-ce que cela t’a posé des questions spécifiques (en terme de contenu, d’esthétique, de rythme…) ?


J-Y R : En fait ce fut pour moi tout un cheminement. Quoi faire ? Adapter des contes pour enfants ? J’ai commencé à en lire, tout en sentant que je suivais une fausse piste. Que veut dire faire un spectacle pour les 6-10 ans ? Et pour les 8-10 ans ? Et pourquoi me mettre à « adapter » ? J’étais alors dans un tournoiement de questions et n’arrivais pas à me décider. Puis je me suis formulé les choses autrement : et si je prenais l’enfant pour quelqu’un capable de suivre une démarche artistique, au même titre qu’un autre spectateur ? Si j’arrêtais de vouloir me mettre à sa place, de vouloir deviner ce qu’il comprend et ce qu’il ne comprend pas ? Si je restais à la mienne de place, et tentait simplement de faire un peu de théâtre ? Les choses se sont alors clarifiées. Quelques années plus tôt, j’avais lu un texte magnifique, Les Oiseaux de Tarjei Vesaas, un auteur norvégien. Ce texte fait partie de ceux qui ne cessent de m’interroger, de me travailler au corps quotidiennement. Il m’accompagnait déjà, comme une sorte de contre chant intérieur, lors de la création du précédent spectacle, Chaux Vive. J’ai alors relu ce texte, loin d’être destinée aux enfants, et cela m’a paru évident. Mon travail allait être de partager avec les enfants les sensations que m’a procurées la lecture de ce texte. Et mon point de vue n’a pas changé ni durant les répétitions, ni durant les représentations, au contraire. Dès qu’on tente d’imaginer ce qui touchera un enfant, ce qu’il est capable de ressentir, on se trompe. On est leurré par une armée de clichés que le mot « enfance » trimballe dans nos entendements d’adultes. Ce que l’enfant est capable de percevoir (je ne dis pas comprendre) est infiniment plus complexe, plus profond et plus riche que ce qu’on soupçonne. La séparation entre l’enfant, l’adolescent et l’adulte est un fait de langage, bien pratique. Mais elle a moins de réalité qu’on ne croit. Si j’ai découvert une chose en créant Erwan…, c’est bien cela.


CL : Peux-tu nous parler du processus de création du spectacle. Je crois qu’il s’est inventé à partir d’un simple canevas, en recherche avec les acteurs. De quelle façon ?


J-Y R : Pas tout à fait un canevas. Je ne voulais pas faire une adaptation du roman. J’aurais pu garder les dialogues déjà existants, tenter d’être fidèle à l’histoire, de chapitre en chapitre. Mais si je voulais être fidèle, c’est à la sensation de silence qui m’a peu à peu gagné quand j’ai lu Les Oiseaux. Plus j’avançais dans le livre, plus mon corps devenait attentif au moindre son, plus je percevais en moi un silence qui devenait presque violent à force d’être aiguë. C’est cette texture-là, ce silence-là, cette écoute-là qu’il me fallait traduire sur le plateau.
Toute l’équipe a lu le roman. J’ai demandé à chacun de me restituer leurs sensations de lecteurs. J’ai travaillé avec cela. Avec les miennes et les leurs. Par tâtonnements, par couches successives, on est arrivé c’est vrai à une sorte de canevas, qui s’est ensuite nourri au fil des répétitions. Chacun revenait avec un texte qu’il venait d’écrire, un geste retrouvé et qui lui venait de très loin, une piste de recherche… Mon travail a été d’écrire un spectacle avec toute cette matière-là.


CL : Et la machine, qui devient de plus en plus organique, c’est le quatrième comédien ?


J-Y R : A la sortie d’une des représentations d’Erwan et les oiseaux, un homme féru de cohérence me demande à quoi sert exactement la machine présente sur le plateau, quel est son exacte fonction. Embarrassé de répondre, je tente de lui raconter des histoires de plateau, de théâtre, d’intuition. Je lui parle de la valeur symbolique et poétique de la machine. L’homme féru de cohérence m’écoute, dubitatif, un enfant passe, sortant juste de la salle, m’interpelle au passage et me lance : « Eh ! Elle est super, la chauffière ! ». J’avais au moins le nom de la machine.

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