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Entrer dans le siècle

+ d'infos sur le texte de Isabelle Dumont
mise en scène Virginie Thirion

: Entretien

Alain Cofino Gomez : Quand ce texte a-t-il été écrit ?


Isabelle Dumont : J’avais écrit une ébauche de Entrer dans le siècle en 2001 à la suite d’une commande pour "La nuit des écrivaines" à Liège. Nous venions d’entrer dans le 21éme siècle et le thème de la commande était l’actualité. Pour ma part, je m’étais attaquée à l’expression… «Entrer dans un siècle» … le nouveau millénaire… Je me suis interrogée sur un monde qui n’est pas des plus simple, des plus brillants, sur ce que cela veut dire de prendre part à ce monde, de s’engager. Et j’en suis venue à écrire quelque chose qui tenait plus du refus de prendre part à ce monde… Un retrait. Un personnage de fiction est apparu. Quelqu’un qui se met en retrait volontairement. Une femme d’aujourd’hui, mais qui prend part au monde dans une forme de distance… en retrait pour avoir sans doute une base, un soutien, une référence. Une fille issue d’une génération de la faillite des idéologies et de la perte des repères.


A.C.G.. : Concrètement, c’est l’histoire d’une nonne…


I.D.. : Oui, parce que ma réflexion sur l’engagement et le retrait était aussi titillée par le procès de deux religieuses rwandaises génocidaires, qui se déroulait à Bruxelles. Le texte est donc le témoignage de cette fille qui raconte pourquoi elle est entrée dans les ordres et pourquoi elle en est sortie. Et, entre les deux, ce qui a motivé son choix. Au départ il s’agissait d’une petite chose que l’actualité a fait grandir. J’étais sensible à la question du retour des religions, aux relents d’une autre époque émanant des messages véhiculés par les trois grandes religions monothéistes… Des positions qui retournaient à leur rigidité originelle. Tout cela m’inquiétait beaucoup… mais m’interpellait tout autant : parce que j’ai moi-même un trajet par rapport au christianisme et parce que j’ai été à la rencontre d’autres religions… c’est un sujet qui me tenait à cœur et à partir duquel j’avais envie d’interroger l’actualité. D’où le recours à ce type de fiction, mais entendu comme une métaphore qui va au-delà de la référence religieuse. Quels sont les cadres que l’on se donne pour avancer dans ce monde quand on est un jeune adulte ? De quoi hérite-t-on ? Que fait-on de cet héritage ? Comment peut-on penser par soi-même et être acteur de son propre destin ? La jeune nonne a 25 ans quand elle est au couvent !


A.C.G.. : La forme du monologue était-elle une évidence induite par le propos ?


I.D. : jJ’aime les monologues. J’ai un petit côté « one woman show » et j’avais dans la tête ce texte comme faisant partie d’un cycle. J’en avais écrit un en 1994, The Lark ascending : il s’agissait d’une femme et de son monologue sur la question de l’art, qui raconte son rapport au statut d’artiste, à la position de l’art dans le monde dans lequel elle est. C’était une confrontation entre une personne singulière, une femme, et de grandes questions, de grands sujets, il s’agissait donc d’engager une forme de réflexion existentielle et un peu philosophique, par un biais assez concret. C’est-à-dire : une personne qui parle. En réalité, le développement philosophique s’ancre toujours dans un cheminement biographique. Ici, le contexte n’est plus l’art, mais la foi, et, au-delà, il reste mon intérêt pour le monologue comme pour le temps du partage d’une réflexion de soi avec soi et de l’adresse à un public. Parce que ce n’est pas un monologue sur soi. C’est de l’adresse directe en permanence avec des moments où le personnage revient sur lui-même. C’est vraiment le partage d’une pensée en mouvement.


A.C.G.. : Donc il y a une réflexion sur le public dans le temps même de l’écriture ?


I.D. : Oui. Ça n’aurait pas vraiment de sens sinon… Il y a vraiment l’envie de partager pour éveiller le mouvement de la pensée chez l’autre. C’est aussi une manière de légitimer une identité qui se cherche à travers cette réflexion…trouver sa place quelque part… déjà sur le plateau et dans cette adresse avec le public. Mais il n’y a pas d’interaction, le public n’est pas invité à répondre, ce n’est pas un dialogue. C’est clairement transmis en direct.


A.C.G.. : Et puis il y a la rencontre avec Virginie Thirion…comment cela s’est-il déroulé ?


I.D. : Je ne peux pas tenir un texte pour moi… il vit avec le plateau, il se transforme justement à cause de l’adresse au public. J’avais vraiment envie de travailler avec quelqu’un qui puisse me faire un retour sur cette adresse. Je l’ai donc proposé à Virginie. Nous nous sommes vues quelques fois pour vérifier si nous allions nous entendre, si on pouvait travailler ensemble… Et cela a fonctionné.


A.C.G. : Et de l’autre côté, il y a celle qui reçoit un texte…


Virginie Thirion : En fait, je n’ai pas reçu un texte, j’ai rencontré une comédienne. Je connaissais Isabelle Dumont en tant qu’actrice ; en tant qu’auteur, ce fut ensuite, lorsqu’elle m’a proposé de travailler avec elle sur « Entrer dans le siècle ».
Je sais bien, pour l’avoir déjà pratiqué, que dans le travail d’un monologue la rencontre avec le metteur en scène est très délicate… il faut vérifier les terrains d’accord ou de désaccord sur les questions du jeu et celles de l’écriture. Donc, en 2003, nous nous sommes accordées trois week-ends de travail en nous disant qu’après ces journées, c’était vendu ou l’on se quitterait amies. Nous ne voulions pas risquer de mener quelque chose à tout prix si nous n’en sentions pas les accroches avec évidence. Et… cela a très bien accroché entre nous. C’est en fait un an plus tard que nous avons présenté au festival «Enfin seul» (à "l'L" ? oui) le spectacle après avoir travaillé ensemble tant sur la structure du texte que sur sa mise en scène. Sur ce genre de projet, le "temps" que l’on s’accorde est important. Les choses se décantent dans la durée… Cela permet aussi à chacun de garder son autonomie. Je n’avais pas pour objectif de pousser Isabelle à écrire pour moi…. La durée permet de garder la bonne et juste distance entre le texte et le spectacle, entre l’auteur et la metteur en scène. C’est une aventure que je trouve passionnante et difficile à mener parce que cela demande une compréhension généreuse de l’autre et de sa pensée. Passionnante, parce que cela ouvre des portes sur une écriture et sur l’esprit de celui ou celle qui l’a créée.


{A.C.G.. : Et sur le plateau, durant le travail de répétition, comment cela se traduit-il ? }


V.T. : Nous y sommes allées par couches successives… Parfois, en poussant les limites du texte, parfois, en jouant de l’improvisation pour faire émerger de nouveaux éléments. Et, au moment de la création, notre troisième comparse, Filipa Cardoso, nous a apporté un regard sur l’image et le mouvement. Puisqu’il y a des images dans notre spectacle.


A.C.G.. : De quelle sorte ?


I.D. : En fait, c’est moi qui ai initié la présence d’images. D’emblée j’ai eu en tête un prologue et un épilogue en image. Des images du monde. Un flot de visions et d’images d’actualité ou encore de vues du cosmos et d’iconographies religieuses… Un univers mental, celui de Zuster Becky. Et puis il y a l’épilogue dont je ne veux rien dévoiler … Il s’agit de cette impulsion qui touche toute sa communauté traduite en images.


A.C.G.. : Il s’agit toujours dans ce texte de choses très concrètes… comme l’usage de l’accent flamand pour le personnage de Zuster Becky.


I.D. : Oui… Il s’agit encore de passer par le vécu particulier pour déboucher sur une réflexion générale ou universelle. Cet accent flamand m’est familier depuis petite, et est lié à la religion catholique telle que je l’ai intégrée dans l’enfance. Je voulais conserver ce concret-là aussi… un “dire“ et des événements très matériels.


A.C.G.. : Et malgré tout très symboliques. Je pense à la plongée de la nonne dans une piscine comme élément moteur de sa « dé-conversion », une image inversée du baptême en somme.


I.D. : Oui, sans doute… mais cela reste pour moi une chose excessivement concrète et en tant qu’actrice j’ai effectué ce geste (le plongeon dans une piscine)… la matérialisation est importante…


A.C.G.. : Et qu’a donc ressenti l’actrice en plongeant dans cette eau comme l’a écrit et imposé l’auteur ?


(Virginie et Isabelle sont prises d’un fou rire)


I.D. : Je n’osais pas me jeter à l’eau !


V.T. : Elle avait visiblement très peur et toute l’équipe attendait comme moi qu’elle se décide à plonger… Finalement, elle a effectué le saut et l’on peut d’ailleurs le vérifier pendant le spectacle…(Rires partagés entre l’actrice-auteur et la metteure en scène)


A.C.G.. : Voilà des rires qui me permettent de rebondir sur le thème de l’humour, puisque ce spectacle, malgré les questionnements profonds qu’il véhicule, n’en manque pas…


V.T. et I.D. : Oui. OUI.


I.D : Pour moi, la pensée c’est du vivant, ce n’est pas uniquement une chose figée dans le sérieux. L’humour c’est un bon véhicule pour toucher à la profondeur. J’ai toujours le souci de textes qui ne soient pas hermétiques et cela passe aussi par l’humour. Sans doute ai-je un imaginaire qui parvient à associer le dérisoire, l’anecdotique, le drolatique avec des choses finalement assez graves.

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