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En attendant Godot

+ d'infos sur le texte de Samuel Beckett
mise en scène Jean-Pierre Vincent

: Entretien avec Jean-Pierre Vincent

Propos recueillis par Fanny Mentré

« En 2011, j’ai relu L’Obsolescence de l’homme de Günther Anders, qui me semble un ouvrage fondamental pour ouvrir les yeux sur le monde d’aujourd’hui. Et au milieu du livre, j’ai découvert un essai sur En attendant Godot, intitulé Être sans temps. Je me suis dit qu’il fallait que je relise la pièce...
J’ai alors totalement redécouvert le texte. Au fil des phrases, des pages, j’étais étonné de lire une pièce certes sur l’attente mais pleine d’actions, une pièce vivante, mordante, d’une férocité inouïe... plein d’abîmes aussi, creusés par les silences.


Beckett écrit en 1948. L’Humanité a été en quelque sorte lobotomisée par les camps et la bombe. Mais ce serait une erreur de « réduire » la pièce à cela, car le génie de Beckett est justement d’avoir, au fil des versions, débarrassé le texte de tout contexte historique ou social. L’idée de catastrophe est là mais, en fin de compte, ce sont les petits riens qui prennent le dessus. C’est-à-dire le présent immédiat. Les dialogues ressemblent parfois à de petites scènes de ménage, qui pourraient se passer dans une cuisine.


D’ailleurs, l’autre aspect qui m’a immédiatement séduit c’est qu’il s’agit de haute comédie. La façon dont sont décrits les personnages, leur démarche, leur accoutrement, évoque d’emblée les comiques anglais, qui sont devenus les burlesques américains. Je pense, bien sûr, à Laurel et Hardy, Chaplin, Buster Keaton. Tous de grands clowns bouleversants.


Tous ces « ingrédients » mélangés rendent la pièce inclassable. Ce n’est pas du social. Pas du métaphysique non plus. C’est follement humain et c’est très drôle.


Tout est écrit. Le texte est là avec ses mots, ses silences, ses entrées et ses sorties... Il y a une sorte de logique algébrique, un équilibre entre des tas de moments où personne ne bouge, mais les mots, eux, bougent et agissent... et des moments où ça bouge follement, mais alors il n’y a plus de mots. J’étudie ça avec gourmandise, avec passion, je veux qu’on voie la pièce telle qu’elle est écrite. Peut-être pour la première fois.


Les silences, par exemple, sont très précisément écrits. Un temps, c’est une respiration, une articulation. Un Silence, c’est une attente. Un Long silence, c’est un abîme. Il ne s’agit pas de vouloir « faire le malin » avec ça. C’est une mécanique épuisante pour les acteurs, mais on se rend compte chaque jour, en répétition, de ce qu’elle produit. C’est la succession des petites actions très concrètes qui, au final, crée un monde imaginaire fascinant à observer.


Nous nous apercevons à quel point le fait d’oser respecter toutes les indications de Beckett nous plonge au cœur du vivant du texte, qui charrie un monde complexe, méchamment drôle et déroutant. Follement humain. »


Jean-Pierre Vincent
Propos recueillis par Fanny Mentré

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