: Le Sommeil de Gospodin
« …parce que c’est comme ça, quand Gospodin se met en colère, mais alors vraiment en colère, eh ben, alors il s’endort. Pas tout de suite, mais assez vite. Dans ces moments-là, il a un immense coup de barre et il baille et il s’adosse et il s’allonge et puis il roupille… »
Au début de Dénommé Gospodin, Philipp Löhle livre,
comme en passant, une information étrange sur son
personnage : Gospodin est narcoleptique. On ne
s’attardera pas ici sur l’ironie méchante de ce postulat
de départ (les indignés ont sommeil, surtout quand ils
s’énervent…), et sur ce qu’elle dit de la « mélancolie
démocratique » contemporaine. On peut en revanche
s’interroger sur ses implications dramaturgiques. Car en
plaçant d’emblée son personnage entre veille et sommeil,
Philipp Löhle confère à sa pièce des allures de rêve éveillé
qui, par moment, tourne franchement au cauchemar (un
cauchemar « atrocement drôle ») : on pense par exemple
aux scènes dans lesquelles Gospodin tente, sans jamais
y parvenir, d’abandonner son magot… En alternant des
scènes de récit presque oniriques et des scènes dialoguées
d’une drôlerie irrésistible, dans lesquelles Gospodin se
trouve toujours confronté aux projets et aux attentes plus
ou moins absurdes de ses proches, Philipp Löhle fabrique
une ronde infernale, une machine inquiétante qui entraîne
son personnage jusqu’au vertige. Les meneurs de cette
machine, c’est un couple, « Elle » et « Lui » (c’est ainsi
que sont désignés les locuteurs des récits) qui vont se
relayer pour incarner à deux tous les personnages qui
assaillent Gospodin. Comme dans les phénomènes de
condensation qui caractérisent les rêves, Gospodin se
trouve ainsi confronté, dans une sidération croissante, au
retour perpétuel des mêmes figures.
Après l’expérience « à cru » de la mise en espace d’Avignon,
il s’agit donc d’inventer un dispositif scénographique, un
monde d’images et de sons qui viendrait renforcer cette
sensation de vertige, ou de rêve éveillé. Il s’agit, au delà
du propos politique, de travailler la matière même du texte
et de donner à voir son « inquiétante étrangeté ». Il s’agit
d’inventer l’espace et le temps singulier où se déploieront
les aventures du « rêveur » Gospodin.
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