: Adapter un scénario de cinéma au théâtre
de Cris et Chuchotements à Dans les Veines Ralenties
Après une nuit sans sommeil ; le corps faiblit
Devient doux et autre- il n’est à personne.
Dans les veines ralenties des traits font encore mal
Et on sourit aux gens comme un ange
Marine Tsvetaïeva, in Insomnie,19 juillet 1916
Le point de départ du projet est le texte de Cris et chuchotements,
c’est-à-dire une lettre-scénario qu’Ingmar BERGMAN écrit à ses
collaborateurs avant le tournage du film-culte.
Mais inévitablement nous avons choisi aussi le film, l’histoire du
film, la matière BERGMAN, et l’imaginaire collectif qui va avec.
Nous avons alors reçu quantité de matériaux, beaucoup plus que
lorsque que l’on défriche un texte purement théâtral : une histoire
bien sûr, mais aussi des descriptions détaillées des lumières, des indications
pour la caméra, des lignes directrices, le caractère historique
des costumes…
Le film et le texte sont des points de départ dans un contexte historique
et sociétal précis dont nous nous sommes éloignés.
Ce qui nous intéresse dans ce travail, c’est de fouiller le véritable sujet
de l’oeuvre et c’est cela que nous allons porter à la scène. Nous ne
cherchons pas à rivaliser avec le film, mais à créer une autre oeuvre,
autonome. Alors, nous l’avons interpréter…
Pour cela, nous avons fait appel à une auteur et dramaturge, Elsa
Granat, qui nous a suivi dans nos recherches, à la table comme au
plateau pour faire naître notre projet.
Ce que nous retenons, l’essence de l’oeuvre, c’est la cellule familiale
de ces trois soeurs, unies par une mère maladive et une maison
vestige d’un temps révolu, qui n’a peut-être jamais existé…la cellule
familiale d’une classe dominante avec ses contradictions et ses
maladies…
Celle d’une société de femmes qui porte « la marque du confort et
de l’indolence » où, comme disait Fassbinder, « l’amour est plus
froid que la mort ».
Ainsi, nous plongeons dans un abime, celui de la chronique d’une
mort annoncée, où la temporalité gonfle et prend du relief comme
les maux d’Agnès mourante au moment où la pièce s’ouvre.
Où il est question du temps : celui qu’Agnès a avant de mourir et
qui interroge le comment rester un individu libre face à la mort ?
Où il est question de celles qui attendent, qui veillent, qui restent :
que faire en attendant la fin ? Que se dire à la fin quand on ne s’est
rien dit durant la vie ?
Pour représenter ce chemin à faire ensemble, notre partition est
construite en mouvements, avec une ouverture et une fermeture.
Chaque mouvement a son propre rythme, son propre tempo, sa
propre intensité, mais la direction dominante est inéluctable.
Le projet interroge notre rapport au temps, et à sa perception.
Dans les silences qui naissent après la gêne de la maladie, après les
cris de douleur ou les NON à la dépossession de soi, s’insèrent un
journal vidéo, celui d’Agnès. Qui dit l’indicible, l’impossible, les
sensations qui évoluent.
Dans les non-dits des rapports familiaux étouffants, s’immiscent les
pensées non avouables de soeurs.
Au fil de nos répétitions, nous essayons de travailler le plus parfait présent du plateau. Pour mieux mettre en exergue passé/mémoire/ imparfait.
Dans ce plus parfait présent, nous questionnons le rapport à la
souffrance, imminente, vivante, représentée.
La souffrance n’est pas une star, disait Godard. Elle est pour nous
un paysage, celui d’Agnès, soudain revenue à son animalité primaire.
Dans l’espace, ces corps ultra vivants, mouvants, organiques ont
tous mal, et nous créeons ainsi une symphonie qui éprouve comme
un théorème de Pasolini l’impossible combinatoire de ces êtres.
Nous souhaitons dans la dramaturgie comme dans le texte, éprouver
l’impossible combinatoire de ces êtres, un théorème à la manière
du film de Pasolini.
Des êtres en huis-clos, assistant au même drame de l’impuissance
humaine, séparés, réunis puis séparés à nouveau, relâchés dans la
nature avec le poids de la vérité comme héritage.
Des infidélités au film, au texte initial donc, mais un désir ardent
de rendre hommage au cinéma, de mêler les disciplines, avec l’envie
de gros plans, des détails que le spectateur de théâtre ne voit pas
d’habitude.
Dans ce monde où l’ignorance et l’aveuglement font loi, nous voulons
utiliser la vidéo comme une manière de confronter les personnages
avec eux-mêmes mais aussi le spectateur a une autre réalité
que celle d’un point de vue global de la scène.
Ainsi nous tenterons comme Bergman de créer…
« … un torrent rapide et sombre : des visages, des mouvements, des
voix, des gestes, des cris, des ombres et de la lumière, des atmosphères,
des rêves, rien de fixé, rien de vraiment tangible que l’instantané,
c’est-à-dire seulement des apparences. Un rêve, une nostalgie
ou peut-être un espoir, une frayeur ou l’effroyable ne serait jamais
exprimé… »
Ces fonctionnalités sont réservées aux abonnés
Déjà abonné,
Je me connecte
–
Voir un exemple
–
Je m'abonne
Ces documents sont à votre disposition pour un usage privé.
Si vous souhaitez utiliser des contenus, vous devez prendre contact avec la structure ou l'auteur qui a mis à disposition le document pour en vérifier les conditions d'utilisation.