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Cyrano de Bergerac

+ d'infos sur le texte de Edmond Rostand
mise en scène Georges Lavaudant

: Conversation avec Georges Lavaudant

Propos recueillis par Géraldine Mercier

Un lundi soir de décembre 1897, le 28, on joue pour la première fois Cyrano de Bergerac au Théâtre de la Porte St Martin. Edmond Rostand assiste, pétrifié, à l’incarnation de Cyrano par Coquelin et s’excuse auprès de son acteur de l’avoir entrainé dans une telle galère. On ne pensait pas assister à un tel triomphe. Pouvez-vous nous parler de cet archétype qu'est le personnage de Cyrano et qui, à l’instar de Don Quichotte ou de Quasimodo, a traversé les âges ?


Oui c’est quand même relativement une surprise, Rostand le dit lui-même. Il est surpris du succès. Pourquoi, tout à coup, ce personnage tellement provocateur avec ce grand nez devient un archétype, ça demeure encore un mystère. Il y a beaucoup d’universitaires ou de gens de théâtre qui ont tenté de donner des explications. Il est certain que, pour un acteur, c’est un peu un Everest parmi les rôles. Mais ça demeure aussi une chose fragile, il ne faut pas l’oublier parce qu’il y a beaucoup d’attente bien évidemment. Le public connait cette pièce, en tout cas il en a entendu parler même s’il ne la connait pas dans le détail. Chaque fois, il des surprises nouvelles qu’on n’imaginait pas découvrir en relisant la pièce.


Comment appréhendez-vous ce personnage ?


Dans un premier temps, je me suis dit naïvement, il faut le prendre un peu au pied de la lettre. Parce que si je décide de monter Cyrano, c’est pour me confronter à un texte populaire. Je n'ai pas l’habitude. C'est un exercice difficile et inattendu. Lorsque je faisais du théâtre à Grenoble puis au TNP de Villeurbanne, je n'aurai jamais imaginé monter un jour Cyrano de Bergerac. Ça ne faisait pas parti de mes textes familiers. J’allais de temps en temps voir chez Shakespeare, Musset, Brecht, Tchekhov... C’est un détour très inattendu pour moi et très surprenant. Mais disons, il y a un premier stade, je me dis qu’il ne faut pas en éviter les difficultés c’est-à-dire le brio, les mousquetaires, les combats, etc... Tout ce qui fait le charme de Cyrano et en même temps ne pas se laisser aller à la gaudriole et à la facilité et tenter, chaque fois que c’est possible, d’approfondir les situations, de les jouer le plus sincèrement possible, enfin en quelque sorte ne pas faire le malin avec la pièce.


Pour ça vous avez choisi un acteur compagnon...


Oui, je crois que pour tout metteur en scène Cyrano c’est d’abord qui va l’incarner. C’est peut-être la même question pour Le Cid, c’est peut-être la même pour Arturo Ui de Brecht. Si vous n'avez pas l’interprète et un interprète en qui vous avez, comment dire, une confiance, une admiration, un plaisir à travailler... ce n’est pas la peine de monter Cyrano. Donc moi, je le fais avec Patrick Pineau avec qui j’ai monté de nombreux spectacles, les pièces de Labiche, de Feydeau mais aussi des pièces contemporaines ou des pièces de Brecht. Ce que j’aime beaucoup chez Patrick Pineau c'est qu'il a une force comique, généreuse absolument merveilleuse mais il y a aussi chez lui du mystère, du secret, de la violence. Bizarrement, ce que l'on découvre et que l’on n’avait pas imaginé chez Cyrano — bon, c'est tout même quelqu’un de provocateur qui ne cesse de lancer des défis, de se battre, etc — c'est sa violence.


Parce que cette situation... pas réellement d'humiliation mais ce nez tellement énorme — qui lui gâche quand même la vie il faut bien le dire — provoque parfois chez lui des espèces de colères qui sont très jouées théâtralement mais qui dans l’intime profond demeurent des blessures.


C’est un personnage très blessé, un personnage — et il le répète beaucoup — qui se trouve laid, qui a peur de ne pas être désiré.


Oui c’est l’enjeu de la pièce. Ce qui est très beau c’est que justement c’est un personnage blessé mais qui défend qu’on le plaigne. C’est lui qui ose parler de son nez. Il n’y a d'ailleurs que lui qui puisse en parler. Personne ne peut dire "mon pauvre vraiment tu n’as pas de chance". Non personne ne peut s’approcher et dire ça sous peine d’être immédiatement provoqué en duel. Donc c’est quelqu’un de très fort qui secrètement a des douleurs mais qui a su — il le dit lui-même — grâce à son panache, les transcender. Il dit "je ne peux même pas aimer une femme laide, même une femme laide ne va pas m’aimer"... Donc autant choisir la plus belle, c’est plus marrant. Il y a des espèces de paradoxes dans la logique de Cyrano, du personnage, qui fait que l’on jubile, on prend du plaisir et puis en même temps c’est un exemple de courage, d’une manière de pouvoir se comporter dans la vie.


Rostand, lors de son discours de réception à l’Académie Française dit la chose suivante : « Plaisanter en face du danger, c'est la suprême politesse, un délicat refus de se prendre au tragique ; le panache est alors la pudeur de l'héroïsme, comme un sourire par lequel on s'excuse d'être sublime.L'esprit qui voltige n'est-il pas la plus belle victoire su la carcasse qui tremble ?»


Oui je pense qu’il connaissait parfaitement bien son personnage, vous résumez parfaitement l’analyse qu’il en fait. C’est quelqu’un qui sait se prendre en charge, qui n’est pas dans les gémissements, dans la plainte. Enfin, je veux dire ce n’est pas politiquement correct. Effectivement, c’est un type qui voit la situation de manière très lucide, qui s’assume et qui pendant quinze ans va effectivement, comme ça, cacher l’amour de sa vie donc c’est un vrai drame.


Un vrai drame... Qu'en est-il du personnage de Roxane ?


Roxane, c’est curieux, parce qu’elle est décrite tout de suite. C’est quelqu’un de très très beau, elle est décrite par les gens lorsqu’elle entre à la première scène, au premier acte, à la soirée, on dit qu’elle est délicieusement belle, qu’elle a le plus beau teint du monde et puis en même temps — alors est-ce que c’est un handicap, est-ce que c’est une qualité ? —, elle se pique de poésie, c’est une précieuse. C’est quelqu’un qui au départ — et elle le dit, c’est toute l’évolution de sa psychologie pendant les cinq actes de la pièce — est amoureuse de la beauté et d’une certaine superficialité et qui va se rendre compte au fur et à mesure qu’il faut approfondir, que la beauté n’est pas seulement un idéal absolu, qu’il y a peut être derrière une manière de sonder les âmes qui est plus profonde. Donc c’est un personnage en même temps éblouissant et lui aussi touchant et contradictoire... Si vous voulez la pièce a une réussite populaire, c’est indéniable, ce n’est pas une pièce intellectuelle, on ne va pas essayer de raconter n’importe quoi sur Cyrano et d’ailleurs ça ne marcherait pas. C’est une pièce vraiment populaire, belle mais elle a des complexités que l’on oublie parfois.


C’est une pièce très concrète avec ce trio qui est assez déroutant.


Elle est concrète mais elle n’est pas réaliste. C’est le langage qui fait avancer les choses. Il y a toujours un jeu de mot, une chose qui fait rebondir. Et donc le troisième personnage du trio amoureux — puisqu’il s’agit quand même bien d’un espèce de trio amoureux sauf que ce n’est pas le mari, l’amant, la maitresse mais que c’est deux amoureux avec chacun sa moitié, on est plus proche de Faust d’une certaine manière que du trio de Vaudeville — effectivement lui, Christian, jeune cadet arrivant de sa province, d’une beauté fulgurante mais qui a la lucidité de reconnaitre qu’il ne parle pas bien, n’est pas un intellectuel, même s’il est très sensible, il n’a pas le brio qui est réclamé dans les cercles à cette époque là. Les cercles intellectuels —et en particulier les cercles précieux — puisqu’il s’agit quand même bien de cela. Roxane se pique de poésie précieuse, elle parle de la carte du tendre qui à l’époque est une manière métaphorique de parler de l’amour et Christian immédiatement se dit « moi je ne vais jamais y arriver » d’où cet espèce de pacte et qui fonde le drame de la pièce : Cyrano laid se dit « je vois un jeune homme merveilleux, je vais lui emprunter sa beauté » et Christian, beau, mais sans esprit voit un être absolument délicieux, virtuose de la langue et des jeux de mots et emprunte à Cyrano son intellectualité d’une certaine manière ou sa poésie en tout cas.


Cyrano sera présenté à l'Odéon de Fourvière à ciel ouvert, sans structure de scène. Vous aviez, dans cette forme, mis en scène La Tempête au Grand théâtre en 2010, que vous inspire ce nouvel espace ?


Pour moi, même si le petit théâtre est un peu plus compliqué, il a beaucoup d’avantages. Il est généreux et plus intime. Cela nous permet également de jouer une série de représentations. En même temps, il n’a pas de dégagement au lointain, les dégagements sur les côtés sont assez compliqués. On est arrivé à une solution avec Jean-Pierre Vergier. Nous n'avons pas sur-encombré la scène, mais décidé de la laisser la plus nue possible et de profiter de cette vérité du théâtre romain et de se frotter à cette difficulté. Parce la pièce nécessite de résoudre certaines difficultés, il y a cinq actes, cinq lieux différents, il faut trouver des équivalents, des images, des signes qui laissent tout de même au spectateur une possibilité d’imaginer ce que serait l’univers des cinq actes dans une salle.


Comment les acteurs s'emparent-ils de la langue ?


Elle est difficile. Il faut faire très attention aux pieds, aux respirations, aux rimes, aux allitérations, aux liaisons. Il ne faut pas en rater une. C’est normal, c’est la discipline mais justement d’une certaine manière ce qui dans un premier temps est difficulté devient au contraire un soutien formidable. Je m’en rends compte, ça aide, ça soutient. C’est comme un corset, mais un corset justement qui vous rend beau, qui vous tient droit, qui vous fait héroïque d’une certaine manière. Vos spectacles sont toujours soutenus par des bandes sons, est-ce que ce sera le cas pour Cyrano ?


Je ne sais pas parce qu’on commence le travail. On l’a dit, peut-être vous l’avez signalé à vos auditeurs. Je viens de terminer une version en Russie à Moscou mais évidemment tout l’enjeu c’est de faire quelque chose de différent à Fourvière. C’est une pièce qui n’en nécessite pas obligatoirement. La langue elle-même fabrique du son, de la musique donc on verra mais je pense que ça risque d’être relativement plus discret que dans mes autres spectacles.


Propos recueillis par Géraldine Mercier pour Radiant-Bellevue

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