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Cyrano de Bergerac

+ d'infos sur le texte de Edmond Rostand
mise en scène Georges Lavaudant

: Présentation

Cyrano est comme un trait de flamme traversant le ciel théâtral – un coup de foudre. Une grande histoire d’amour, bien sûr, entre ses protagonistes – mais aussi, et au premier regard, entre une œuvre et son public. Dès sa création, l’œuvre est déjà considérée comme un sommet du genre ; elle si romantique, cette enfant des longues rêveries d’un poète de vingt-neuf ans, est née classique, si l’on peut dire, sans discussion ni longue attente, comme Athéna jaillissant tout armée de la cervelle de Zeus.

Pourquoi donc Cyrano est-il cette pièce en laquelle tous, tout de suite, ont voulu se reconnaître ? Peut-être parce que ce chef-d’œuvre de pyrotechnie verbale (où l’alexandrin dramatique, soit dit en passant, jette ses tout derniers feux) est comme un autoportrait assumé – et cela, jusque dans la caricature – de ce qu’il est convenu d’appeler “l’esprit français”. Se mesurer à Cyrano, c’est vouloir approcher cet “esprit”, que ce soit pour le célébrer ou pour l’interroger. Rostand lui-même devait s’en douter, lui qui a convoqué dans sa “comédie héroïque” quatre siècles de souvenirs littéraires : la délicate casuistique amoureuse d’Honoré d’Urfé s’y mêle à la vaillance feuilletonesque d’Alexandre Dumas, et un dernier souffle de l’élégant enjouement de Regnard y anime on ne sait quelle secrète et lunaire mélancolie héritée d’Alfred de Musset. Sans compter, bien entendu, le fantôme du véritable Cyrano, Hercule Savinien Cyrano de Bergerac, blessé en 1640 au siège d’Arras, auteur d’une comédie, d’une tragédie, et de deux romans de quasi science-fiction, qui fut le disciple de Gassendi, le plus célèbre épicurien de son temps, avant de mourir en 1655 à trente-six ans.

Mais le drame de Rostand ne reconstitue pas une époque : il la reconstruit et la rêve, pour y intégrer la biographie exemplaire et baroque d’un martyr de la vivacité, de la galanterie et de la verve “nationales”, perdant magnifique et d’autant plus fascinant que toutes ses qualités sont le fruit d’une sublime volonté d’art.

Est-ce cette volonté qui a retenu l’attention de Georges Lavaudant ? Depuis toujours, l’ancien directeur de l’Odéon-Théâtre de l’Europe est sensible aux identités qui se bâtissent en doutant d’elles-mêmes, poussées en avant par leur fêlure, telles Œdipe, Baal, Alceste ou Hamlet, à partir de l’incurable blessure d’un certain manque à être (au sens où l’on parle de “manque à gagner”). Or Cyrano, lui aussi, conquiert sa signature à force de volonté. Il se veut Cyrano, comme Ajax se veut Ajax ou Lorenzo de Médicis se veut Lorenzaccio. Signant son nom à la pointe de son épée et de sa plume, Cyrano, né de l’excès, est donc toujours “trop” Cyrano, superlativement drôle, incomparablement brave – toujours en représentation (il n’est pas étonnant, dans ces conditions, qu’il fasse son apparition dans l’œuvre pour interdire à un acteur médiocre d’entrer en scène…). C’est comme s’il ne vivait que d’un crédit tiré sur son propre néant, et dont les intérêts ne lui seraient payés qu’en mots. Bons mots au demeurant, ardents, étincelants, spirituels, lestés du poids d’une existence qui se sait si vide et fragile ; de même que sa vraie voix ne peut résonner qu’en sa propre absence, au prix d’un vertigineux numéro de ventriloque, déléguée au service d’une pauvre marionnette, ce “beau” Christian qui paraît usurper sa place dans le cœur de Roxane…

Cyrano, en somme, joue un rôle, le sien, celui du Cyrano qu’il doit être pour être à la hauteur de Cyrano : comme tout comédien jouant un rôle, il n’existe qu’à force de le faire croire à ceux qui l’entourent, en brûlant d’une flamme qui ne brille qu’en le consumant. Acteur et auteur de sa propre pièce, Cyrano est peut-être l’un des noms du théâtre. Pour assumer un nom pareil, il faut un interprète hors normes. Lavaudant a fait appel à Patrick Pineau, qu’il connaît et dirige pratiquement depuis ses débuts dans Féroé la nuit, qui fut de l’aventure de la troupe de l’Odéon, et qui vient de reprendre, dix ans après, le rôle-titre de l’une des plus belles mises en scène de Lavaudant : La Mort de Danton, de Büchner.

Daniel Loayza

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