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Coeur d'acier

+ d'infos sur le texte de Magali Mougel
mise en scène Baptiste Guiton

: Note d’intentions de l’auteure

Lorsque l’on arpente les espaces qui séparent les villes jalonnant le Nord-Est et l’Est de la France, parfois nos regards peuvent être interpellés par cette succession sans fin de bâtiments et de sites industriels, témoins d’une vivacité économique qui décline à mesure que se déroule le bitume sous les roues du véhicule. Et, à mesure que l’on longe ces friches, ruines et usines d’un autre siècle, nous finissons parfois par nous interroger sur l’avenir qui leur sera réservées et sur ce qu’on choisira de maintenir, de nous rappeler. Ces lieux ont structuré et organisé des vies, des consciences politiques.
Alors, voici que lorsqu’on appelle à la fermeture d’un haut-fourneau, survient la prise de conscience que la disparition d’une aciérie, comme celle de Florange Arcelor Mittal, entraîne un bouleversement tragique des espaces économiques et sociétaux. Pourtant, il ne s’agit pas tant d’une fatalité liée à des mutations, conséquences de la fin d’une ère – celle industrielle –, que de conséquences découlant de choix politiques et économiques.
Coeur d’acier part de cette certitude que l’ère industrielle est venue faire quelque chose à nos vies, qu’elle a modifié nos rapports aux espaces, notre façon de penser.
L’écriture de ce projet s’organisera donc autour de quatre points : une conviction, une affaire, une figure et une accroche philosophique.
1./ il s’agira d’une épopée transgénérationnelle. Il ne s’agit pas d’être dans la nostalgie de l’extinction d’une ère révolue, mais plutôt d’interroger la persistance dans nos vies de demain de ses espaces qu’ont pu être ceux de cette ère.
2./ il s’agira de nous intéresser à Florange-Arcelor Mittal. Cette affaire nous a, d’emblée, semblée pertinente, tant par sa situation emblématique que par les nombreuses actions menées par les forces syndicales en présence.
3./ il s’agira de revenir sur le parcours d’un militant. Edouard Martin, aujourd’hui élus aux élections européennes, est une figure absolument incontournable, et théâtrale : Héros pour certains, traître pour d’autres, il représente pour nous la figure d’une lutte aux multiples visages, il interroge un syndicalisme d’aujourd’hui et ses relations avec les différents pouvoirs (politiques, médiatiques, judiciaires). Le Nouvel Observateur, titrant le portrait d’Edouard Martin en 2012 avec une formule emphatique, «Les larmes d’acier», lui emprunta les mots suivants pour conclure son article : «Vous croyez qu’un parti me voudra dans ses rangs ?». À ce jour, nous connaissons la réponse. Mais Pourquoi ?
4./ il s’agira d’appuyer nos axes dramaturgiques sur une proposition philosophique, celle de l’Angelus Novus de Walter Benjamin. Nous défendons que « Articuler historiquement le passé ne signifie pas le connaître « tel qu’il a été effectivement », mais bien plutôt devenir maître d’un souvenir tel qu’il brille à l’instant d’un péril. (...) À chaque époque il faut tenter d’arracher derechef la tradition au conformisme qui peut s’emparer d’elle. »
Ce que nous voulons c’est proposer une épopée capable de renouer avec les enjeux et les forces des oeuvres tragiques antiques. Nous suivrons le parcours d’une figure masculine qui porte en elle quelque chose de Woyzeck en ce que son incapacité d’être au monde et sa volonté de s’en emparer seront des points d’appui dramaturgiques pour nous emparer d’Edouard Martin. A cela s’ajoutera la naïveté d’un Jean la Chance brechtien combinée aux excès transgressifs tant poétiques qu’existentiels d’un Baal. Notre drame se constituera comme un chemin de croix et nous renouerons, de ce fait, avec cette forme dramatique qu’est le Stationendrama. Avancée progressive d’une figure sur les chemins d’une ère qui s’effondre et luttant pour maintenir encore un peu de dignité dans le monde du travail.


Coeur d’acier sera donc une expérience initiatique, qui tentera d’éviter de contempler les ruines, mais plutôt de découvrir encore la cicatrice qui traîne sous un pull. La dite « Crise » que nous traversons, nous la connaissons ; elle traverse nos chairs depuis maintenant quelques années. Aussi, il s’agira plutôt de défaire les fils de la suture pour apprendre le trajet que fît un bras tenant une lame et qui, dans la chair, creusa un sillon, et d’inventer les autres possibles de la cicatrisation.


Ce que nous voulons avec Coeur d’acier, ce n’est pas uniquement faire un compte-rendu poétique de ce qui nous entoure. C’est aussi proposer pour chacun, à partir du monde effectif, l’expérience d’un autre monde possible si nous faisions d’autres choix face à l’austérité ambiante.

Magali Mougel

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