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Clôture de l'amour

+ d'infos sur le texte de Pascal Rambert
mise en scène Pascal Rambert

: Entretien Pascal Rambert - Pierre Notte

Entretien réalisé à l'occasion de la présentation du spectacle au Théâtre du Rond-Point

Le spectacle Clôture de l’amour, événement du festival d’Avignon en 2011, a-t-il changé depuis sa création ?

Non. Parce que c’est du granit. C’est écrit pour eux, pour eux seuls, Stanislas Nordey et Audrey Bonnet. Ils sont irremplaçables. Et je n’ai pas vu, avec le temps, les failles ou les fêlures dans le spectacle qui auraient imposé des changements, des ouvertures ou des corrections. Non. C’est cousu, taillé pour eux. Et c’est un objet dur. La pièce, depuis 2011, a été créée partout dans le monde, dans un dispositif semblable, et dans des interprétations parfois très différentes. Je suis amené à la mettre en scène en Italie ou en Allemagne, en Croatie, à Moscou, à New York, au Japon, à Zagreb...
Mais la façon de chorégraphier les corps sur les plateaux reste la même. Les chœurs d’enfants changent, bien sûr. En France, ils interviennent pour chanter une chanson de Bashung. Aux États-Unis, ils chantent une chanson de Whitney Houston, et en Russie un chant traditionnel. Je travaille à l’écriture d’un texte sur tout ça, un récit de cette étonnante aventure de Clôture de l’amour qui a commencé à Avignon, en juillet 2011.
Ce qui reste commun partout, c’est la question presque philosophique de l’amour, de la vérité des êtres sur le plateau, et de la rupture. Les acteurs russes et américains ne se posent pas les mêmes questions, ils ne réagissent pas de la même manière. Pourtant, l’engagement est là, la vérité aussi. La question reste la même : que reste-il lorsque tout change ? Et comment parle-t-on aujourd’hui ? La pièce aborde la contemporanéité du langage, le dialogue questionne la parole même, la parole réelle.

Comment expliquez-vous qu’une pièce si « privée », écrite pour deux acteurs précis et pour eux seuls, connaissent un tel retentissement ?

À sa création à Avignon, la pièce a provoqué comme un éclat. Je pense que cela tient à la qualité du travail de Stanislas Nordey et d’Audrey Bonnet. À leur nature, leur personnalité. Tout les oppose. Et je n’ai pas essayé une seconde de les « equalizer ». « Equalizer » les acteurs, les niveler, c’est un travail que l’on fait jeune, en théorisant.
Aujourd’hui, je guette les différences criantes des interprètes que je veux mettre en lumière dans un cadre élaboré pour eux. Cette force, leurs différences, a saisi le public à Avignon. L’éclat tient aussi au dispositif de Daniel Janneteau. Les corps, sur-éclairés, ont capté les attentions : le corps de Stan, trempé de sueur au bout d’une heure, leur énergie, leur voix, leur vérité. On ne ment pas. On ne triche pas. C’est ça qui a saisi le public, et qui fait que la pièce se joue partout, qu’elle est accueillie ainsi, à Zagreb, à Moscou, à New York, où les acteurs ne sont jamais dans le cri, ni dans la sudation, ni dans le commentaire, où certains passages de la pièce pourraient poser des problèmes au puritanisme ambiant. Non, les spectateurs sont debout, et en larmes. C’est la vérité du théâtre qui l’emporte, l’engagement vital, un jeu d’acteurs accompli. Ce qui est dit des êtres, leur vérité.
D’autant plus qu’à New York, Kate Moran interprète le rôle féminin. J’ai vécu près de quinze ans avec elle. C’est avec elle, en tout premier lieu, que j’ai vécu cette rupture racontée dans Clôture de l’amour. Ce texte dit vrai, alors que je fuis depuis des années les systèmes d’identification, alors que je cherche depuis des années à entrer en relation avec le spectateur autrement que par les voies de l’émotion. C’est l’intimité, la réalité des êtres et de leurs sentiments que vous voulez exposer ?
Depuis plus de quinze ans, je travaille à mettre en place une écriture du temps réel, où nous nous appelons tous, sur le lieu de la représentation, par nos propres prénoms. Nous travaillons avec les noms réels des acteurs, nous avançons dans cette continuité, parce que ce travail implique alors autrement les personnes, et engage les acteurs dans une autre écoute. Depuis Le Début de l’A, en 2005, donné à la Comédie-Française puis à Gennevilliers avec Audrey Bonnet et Alexandre Pavloff, j’ai compris que je voulais oser ça, sans me poser de questions quant à la pudeur ou à l’impudeur. Ça : chercher la vérité, le vrai, en travaillant à lui donner une forme, à élaborer un cadre.


Cela m’a rendu plus libre, rien dès lors ne m’empêcherait plus de mettre en lumière la réelle intimité, la vérité des sentiments et des êtres. Et c’est par l’invention de la forme que tout devient possible. Quoi que l’on fasse sur les plateaux, c’est la seule question qui se pose finalement : est-ce qu’on nous ment ? Est-ce que la vie est là ? Si la vie n’est pas là, sur la scène, on est alors dans le grand péché. Mais Clôture de l’amour est aussi une pièce sur l’art, et même avant tout : l’art du théâtre. Comment ça marche, comment dire sur un plateau les vérités des êtres ?

C’est une pièce qui interroge le fait même d’être artiste, et sur le plateau. Ce ne sont pas deux monologues, ils s’écoutent, se parlent, c’est un dialogue élargi. Stanislas parle pendant une heure à Audrey, qui va lui répondre pendant une heure. Qu’est-ce que cela signifie, être en silence, sur un plateau, être là à écouter, regarder, pendant une heure un autre qui parle ? La présence, être là, qu’est-ce que c’est ?

Clôture de l’amour pourrait être un manifeste pour l’art contemporain. Comment aujourd’hui, dans un monde fragmenté, vit un artiste ? Nous sommes en vol, en déplacement, en mouvement tout le temps, avec nos mails, nos textos, les appels incessants, dans une course folle. En ce qui me concerne, il n’y a que deux endroits où l’attention peut redevenir intacte et totale, où je me reconnecte avec moi-même, avec l’être privé : au moment de l’écriture, et au moment de la répétition. En répétition, comme en jeu, nous abandonnons les appareils de la technologie contemporaine, et nous sommes ensemble, ou en nous-mêmes, au présent, à l’écoute.


Propos recueillis par Pierre Notte

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