: Le Solitaire et le bordel du monde
Ce formidable bordel ! fut représenté pour la première fois en novembre 1973 à Paris, au Théâtre Moderne. La pièce est tirée du roman Le Solitaire paru en juillet 1973.
S’exprimer en deux genres littéraires différents sur une même thématique, celle de la vie
et de la mort en solitaire, pourrait paraître bizarre. L’adaptation du roman pour le
théâtre, intitulée Ce formidable bordel ! a son unité, sa cohérence interne et son
indépendance par rapport au roman. Pourtant, le protagoniste en est le même et la pièce
se prête à une lecture complémentaire à celle du roman. La narration, écrite à la première
personne, abonde en confessions comme un journal intime ou un blog avant la lettre.
Dans Ce formidable bordel ! il devient le Personnage. Il est, évidemment, le centre de
focalisation des regards de l’auteur, des personnages/acteurs et du public/lecteur. Il
domine le texte et le spectacle mais il brille par son silence. Il se laisse raconter, il se
laisse faire par les autres comme s’il n’avait aucune volonté, personnalité ou identité. Il
atteint le général et se perd, à la fois, dans l’anonymat, il est l’Un et Tous dans un même
être, comparable au Créateur auquel il s’oppose à la fin de la pièce. Il écoute les autres et
se manifeste comme une "présence de l’absence" (l'expression appartient à Paul Valéry).
Son mutisme semble détenir toutes les réponses que chacun attend ; le silence, mystérieux
et impénétrable, nous cache des potentialités que le langage ne possède pas ou a perdues
depuis longtemps. Si chez Beckett on attend Godot, chez Ionesco on attend que le
Personnage parle. N’importe quoi, n’importe comment, pourvu qu’il dise quelque chose.
Plus on avance dans la lecture ou dans le spectacle, plus le silence devient intolérable et
le poids de son message lourd de sens. Mais y en a-t-il vraiment un ? La fin fait irruption
comme un tonnerre. Les tensions dramatiques s’accumulent en effet de boule de neige et
déclenche un rire démesuré. Toute la pièce semble être conçue pour aboutir à cette fin,
investie d’une théâtralité débordante. Ce formidable bordel devient Quel formidable bordel, l’adjectif démonstratif se transforme en adjectif relatif à valeur exclamative,
interrogative, conclusive et constatatrice. À la formule La vida es sueño, Ionesco oppose la vie comme un bordel et il joue sur les deux acceptions du mot « bordel ». Le grand rire
final apparaît comme une alternative à la mort, comme un espoir, illusoire peut-être,
mais, quand même, une étincelle d’espoir.
(…)
Liana Maria Mocan
Université de Babes-Bolyai, Cluj-Napoca, Romania
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