: La Pièce
« Une pièce de théâtre n’a pas à être présentée. Il lui suffit d’être représentée. Aussi ne
vais-je pas essayer de vous expliquer la pièce que vous allez voir et entendre, tout à
l’heure. On ne peut pas expliquer une pièce, on doit la jouer ; elle n’est pas une
démonstration didactique mais un spectacle vivant, une évidence vivante. »
Ainsi Ionesco introduisait-il lui-même une représentation de l’une de ses oeuvres au public
de l’Institut Français de Londres en 1958. (1)
Emboîtons-lui le pas et plutôt que « présenter » Ce formidable bordel en résumant une
intrigue qui n’en est pas une, rappelons simplement les enjeux de taille que présente la
rencontre de cet auteur pour des élèves comédiens dans leur première mise en situation
professionnelle au seuil de leur dernière année de formation.
« Le théâtre est dans l’exagération extrême des sentiments, exagération qui disloque la
plate réalité quotidienne. Dislocation aussi, désarticulation du langage. (…) Pour s’arracher
au quotidien, à l’habitude, à la paresse mentale qui nous cache l’étrangeté du monde, il
faut recevoir comme un véritable coup de matraque. Sans une virginité nouvelle de
l’esprit, sans une nouvelle conscience, purifiée, de la réalité existentielle, il n’y a pas de
théâtre, il n’y a pas d’art non plus ; il faut réaliser une sorte de dislocation du réel, qui
doit précéder sa réintégration. (…) Tout est permis au théâtre : incarner des personnages,
mais aussi matérialiser des angoisses, des présences intérieures. Il est donc non seulement
permis, mais recommandé, de faire jouer les accessoires, faire vivre les objets, animer les
décors, concrétiser les symboles.»(2)
Autour du personnage principal mutique de Ce Formidable Bordel, interprété aujourd’hui
par François Font, l’un des acteurs piliers de la Comédie, c’est à tout un peuple de pantins
que les élèves doivent donner cette vie inspirée par Ionesco. Et pour que surgisse ce
« coup de matraque », ce jeu théâtral où « le langage doit presque exploser, ou se
détruire, dans son impossibilité de contenir les significations »(3), les élèves guidés par Silviu
Purcarete, devront éprouver la maîtrise de leur instrument, c’est-à-dire d’eux-mêmes en
tant que comédiens, pour explorer cette « dislocation du réel qui doit précéder sa
réintégration » et avec elle, la liberté de disloquer le texte de Ionesco s’il le faut, pour
trouver « l’évidence vivante » qu’il recherchait.
- (1) Allocution prononcée par Eugène Ionesco à l’Institut français de Londres, à l’occasion de la présentation de Comment s’en débarrasser, par la troupe de Jean-Marie Serreau, décembre 1958, reprise dans Notes et Contre-Notes, Gallimard, 1966.
- (2) « Expérience du Théâtre », article publié par la N.R.F, 1958, repris dans Notes et Contre-Notes, Gallimard, 1966.
- (3) Idem
Elsa Rooke - Directrice pédagogique de l’École de la Comédie de Saint-Étienne
mai 2010
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