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Catherine et Christian (Fin de partie)

mise en scène Julie Deliquet

: Entretien avec Julie Deliquet

Propos recueillis par Agathe Le Taillandier pour le Festival d'Automne

Vous avez créé en 2009 Derniers remords avant l’oubli, de Jean-Luc Lagarce, puis en 2011 La Noce, de Bertolt Brecht et enfin, en 2013, Nous sommes seuls maintenant, une création collective d’In Vitro. Ces trois volets étaient un voyage des années 1970 aux années 1990. Dans quelle mesure votre nouvelle création Catherine et Christian clôt-elle cette trilogie théâtrale entamée il y’a quelques années ?


Julie Deliquet : Catherine et Christian représente pour moi un épilogue plus qu’un dénouement. Avec ce quatrième volet, je souhaite ouvrir une nouvelle ère plutôt que fermer celle d’avant. Dans ce spectacle, je mets à mort la génération du triptyque, née dans les années 1950, les baby boomers, pour interroger la génération héritière, la nôtre. Je souhaite enterrer les figures de nos parents afin de parler de nous, du présent, sans passer par la mise en scène de la mort et du deuil en tant que tels. Concrètement ce sont les comédiens Catherine et Christian, qui vont incarner cette génération. Ils sont au centre des répétitions, nécessaires au processus de création – ils jouent les parents - puis je vais les tuer réellement dans le spectacle. Ils sont alors absents des représentations : seuls les comédiens quarantenaires sont en scène. Ce sont un petit peu mes cobayes ! En fait Catherine (Eckerlé) et Christian (Drillaud) sont nos parents symboliques à tous, ceux de toute une génération. C’est aussi pour cela qu’ils donnent leur nom au spectacle alors qu’ils en sont absents physiquement. Ils sont aussi mon repère par rapport au réel : d’une histoire à l’autre, ils ont toujours la même identité et autour d’eux, gravitent des personnages imaginaires.


Quelle forme prend ce spectacle, celle d’un long et unique plan séquence comme dans vos créations précédentes ?


Julie Deliquet : C’est le jour d’un enterrement dans un restaurant. Le fonctionnement du spectacle est très rohmérien : à travers quatre saisons, je veux conter des histoires multiples de familles. Il y aura donc plusieurs morts de Catherine et de Christian, figures du père et de la mère. Tous les autres sont filles et fils de cette filiation. Les possibles sont démultipliés : la famille recomposée, la fratrie hyper soudée, la famille déracinée, le couple super puissant, le fils unique, l’orphelin… Je veux croiser toutes ces histoires possibles pour que le spectacle devienne universel. Catherine et Christian est un immense OEdipe collectif ! Avec ce spectacle je voulais sortir aussi de la maison de famille, omniprésente dans la trilogie, et rejoindre un espace public : le restaurant, un lieu de passage qui évoque le déracinement. On est en province ou à l’étranger et non plus à la maison. Le personnage du serveur amène la vie puisqu’il ne sait pas que c’est un repas d’enterrement. Comment le privé s’exprime dans l’espace commun ? La table plus symboliquement m’évoque la cène du christ. Mais je ne veux pas jouer le moment même du repas. Il est avorté : tout va se passer avant et après. Il n’ y a plus ce centre qu’il y avait dans nos spectacles précédents. Je pense que cette situation permet à la parole individuelle de plus s’affirmer : quel est le plat que chacun va commander ? Qui est cet inconnu du bout de la table qui a suivi le cortège ? La singularité va se distinguer davantage du groupe. Sortir de l’intime nous offre la possibilité d’avoir une parole plus mythique, inscrite dans la cité. Catherine et Christian se nourrit de nos histoires, c’est un mélange de toutes les vies qui se côtoient dans le collectif In Vitro, mais c’est au bout du compte un corps étranger et universel.


Un enterrement donc, sans cercueil ni lamentations ?


Julie Deliquet : Oui ! D’ailleurs je m’intéresse au repas de l’enterrement. Plus précisément à l’avant et à l’après repas : j’enterre la table elle-même, mécanisme dramaturgique de toute la trilogie. Ces conversations sont souvent des moments très gais où les gens se rencontrent et la parole se libère. Je souhaite donner la parole aux vivants, à ceux qui restent. La mort de Christian et de Catherine est en fait un prétexte pour sortir des fantasmes liés à la génération qui nous a précédés. Je me libère comme cela du triptyque et j’invente une nouvelle histoire. Sans eux. J’enterre l’adolescence d’In Vitro pour ouvrir de nouvelles portes à notre théâtre. C’est très cathartique.


Prolongez-vous une écriture de plateau fondée sur des improvisations très longues et collectives ?


Julie Deliquet : Au niveau de l’écriture, c’est la suite directe de Nous sommes seuls maintenant, qui ne fonctionnait que sur nos improvisations, alors que les deux premiers volets étaient écrits à partir d’oeuvres théâtrales : La Noce de Bertolt Brecht et Derniers remords avant l’oubli, de Jean-Luc Lagarce. Avec Catherine et Christian je veux poursuivre ce travail en me concentrant davantage sur l’écriture elle-même. Je cherche un langage scénique plus concentré en me posant la question de l’écriture avant celle de l’improvisation, en me détachant de l’instinct au nom de la dramaturgie. Je ne veux vraiment pas faire un Nous sommes seuls maintenant bis. Il faut se réinventer au niveau de la méthodologie pour ne pas s’habituer à un système. Et je pense que nous avons une mission : en se passant des auteurs, il ne faut pas non plus épuiser la langue. Dans notre processus d’écriture de plateau, je m’inspire d’oeuvres littéraires ou cinématographiques que j’aime conseiller aux comédiens d’In Vitro. Pour ce spectacle deux films sont importants : La Gueule ouverte, de Maurice Pialat et Pater d’Alain Cavalier. J’ai d’ailleurs demandé aux comédiens de réaliser des films très courts dans lesquels ils devaient se mettre en scène face à Christian ou à Catherine. Au long d’une conversation, ils devaient jouer le fils, puis le beau fils, puis un autre personnage, ou encore se parler comme s’ils partageaient un dernier moment de vie. Les rôles bougeaient au fil de la disussion. Le film a été une bonne règle du jeu pour les aider à resserrer et à concentrer leurs improvisations. Les Trois Soeurs, Le Roi Lear ou encore L’Odyssée peuvent être aussi des lectures inspirantes pour notre travail de répétition. Certains comédiens aiment se documenter, d’autres préfèrent rester vierges face à l’improvisation. Chacun travaille avec son outil.


Vous défendez un théâtre du réel, un théâtre qui fait confiance au présent, un théâtre qui “présente” plus qu’il ne représente. Comment dans votre processus de création parvenez vous à conserver jusqu’à la représentation, cette fragilité du réel ?


Julie Deliquet : Je ne fais pas de rupture entre la répétition et la représentation. On n’aborde jamais la répétition classique : ce sont plutôt des traversées. Mais je prends vraiment en considération la représentation, plus qu’au tout début de notre travail où les moments de confrontation avec le public étaient difficiles pour moi. J’essaie de l’englober dans une continuité. Mais chaque soir est une nouvelle représentation et je vois très bien si une chose a été répétée ou anticipée pour reproduite un résultat qui a déjà fonctionné auparavant. Je les regarde non pas inventer une nouvelle histoire chaque soir mais préciser, aiguiser les situations et faire en sorte qu’une scène ne s’épuise jamais. En tant que metteur en scène, je suis la garante de ce présent. En fait une écriture de plateau commence réellement le jour de la première. La forme est là et il faut la bonifier au fil du temps. Je remets le temps présent toujours au centre et c’est ce qui m’amuse fondamentalement. J’aime la maladresse, les accidents qui se présentent au public sans jamais être rejoués ensuite. Les comédiens entre eux ne se font pas de cadeaux ! Ils marchent toujours sur un fil. Et ils sont au centre du dispositif puisque Catherine et Christian s’inscrit dans la même pauvreté de moyens que nos spectacles. Quand l’acteur dit « il fait trop chaud », on y croit tout simplement et on est projeté en pleine Camargue. Alors que dans la scène d’après, il fait un froid polaire, et nous voilà au Québec. Les comédiens sont tous sur scène en costard cravate du début à la fin et pourtant le spectateur va avoir l’impression qu’il y a eu un changement de lumière, d’atmosphère, d’espace. Les plats qu’ils vont commander au restaurant sont aussi un moyen de passer d’un lieu à l’autre grâce à l’imagination. Tout devient possible et vrai à travers les mots. C’est toute la force du théâtre et ce sont ces possibles infinis que nous aimons explorer avec in Vitro.

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