« Le théâtre contemporain au Mali émerge lentement d'une tradition orale dominante : le conteur, le griot sont les passeurs de fictions et de récits pour la population depuis des lustres ...
Oser le théâtre pour parler d'aujourd'hui est un combat : qu'une femme s'attaque à ce pari renforce encore la détermination de son engagement. Il faut féliciter Hawa Diallo, l'auteure de Caterpillar pour un texte radical, sans concessions, qui livre au public les tabous de la société malienne : le viol, l'exclusion, la prostitution des jeunes femmes, la précarité urbaine (…)
Le théâtre "utile", celui des ONG entre didactisme et bonne conscience, inonde les villages et les quartiers de lutte contre le Sida, l'excision, l'analphabétisme. La forme y laisse toute invention, le message primant sur toute autre considération : expliquer, convaincre, démontrer.
Hawa Diallo expose dans une langue populaire, celle de la rue, la violence des situations faite aux êtres dans le Mali réel : trois laissés-pour-compte, deux femmes abusées dans leur corps et un prolétaire au gros coeur tentent la survie, au-delà du désespoir. (…)
Une écriture ultra-réaliste, un mélo africain qui fait ricaner de honte le public malien, entre désabusement et distanciation scénique peut-être ? Le langage utilise le français des pauvres, analphabètes : déformé, détourné, trituré pour devenir un cri plutôt qu'un verbe, un rire sec plutôt qu'une phrase. Du "petit nègre" au plus argotique du langage populaire, un autre français créolisé par les gens d'en bas. (…)

La mise en scène de Claude Yersin est sobre et même élégante dans un tel contexte (lumière et musique de douceur), refusant le pathos et la démagogie attendus.

La dramaturgie cerne l'accablement des êtres, des lieux (une décharge à ordures), des situations (un infanticide et une liaison naissante) et isole les personnages dans leur dénuement absolu. »

Jean-Luc Baillet, directeur du CCF de Bamako