: Note d'intention
Je croyais ne jamais avoir l'occasion de raconter un jour sur scène cette
histoire de l’Algérie depuis l’indépendance à nos jours car j'en redoutais le
nationalisme. Et puis, j'ai découvert «Bleu Blanc Vert» de Maissa Bey. Ce
texte s'est imposé à moi pour donner naissance à un nouveau projet qui a
balayé mes anciens doutes. Ce qui m’a profondément touché lorsque j’ai lu
ce texte pour la première fois, c’est le mélange de douceur et de cruauté
que j’y ai trouvé.
Je veux mettre en scène ce texte avec le désir de revenir sur les chemins
de mon enfance et plus loin encore. Revisiter le passé pour éclairer ou
tenter d’éclairer le présent.
Comment assumer la difficile mission d'être la première génération d'un peuple libéré du colonialisme ? Comment vivre dans une société déchirée entre modernité et traditions ? Ces questions circulent dans bien des esprits, dans de multiples circonstances. Elles se déclinent de mille et une manières. Elles rôdent en moi constamment, profondément. A travers ce projet j’essaye aussi de répondre à cette question que les Algériens se posent aujourd’hui: qu’avons-nous fait de nos quarante ans d’indépendance? Et c’est dans ce « nous » que je veux inscrire l’histoire des deux personnages principaux.
J’ai voulu choisir cette question brûlante et dérangeante pour notre société.
Non pas pour y apporter une réponse, mais pour qu’elle provoque mille
questions chez le spectateur qui choisira, lui, ses réponses personnelles.
La question, je l'ai choisie principalement pour son absence aujourd'hui
dans la marche de la société algérienne vers un "avant" dont on ne sait
toujours pas s'il est un progrès.
La première motivation donc de ce projet, c’est l’envie, urgente, impérative,
de raconter l’histoire d’un peuple, et de donner à voir le souffle de sa
nouvelle espérance. Et il n’est donc surtout pas question de faire l’impasse
sur les contradictions et les difficultés.
A ces questions, l'auteur tente d'y répondre à travers ses deux héros dont
le monologue intérieur montre une vision intimiste de l'histoire, celle de
l'Algérie et de son passé postcolonial. Le texte de Maïssa Bey est un
nouveau témoignage contre l'oubli des affres du passé algérien.
C’est avec ces deux personnages que le spectateur parcourt une tranche de
l’Histoire. Voix intimes, voix secrètes, elles nous sont données à entendre
dans la succession du « Elle » et du « Lui » qui ouvrent chaque chapitre,
comme autant de plongées dans deux journaux intimes.
La mise en scène s’attachera justement, en stylisant la réalité, à conduire
le spectateur vers l’univers intérieur des personnages. Même si les deux
monologues se succèdent, les deux personnages seront présents sur
scène tout au long du spectacle.
Une adaptation pour le théâtre que je confie à Christophe Martin : le rythme
de son écriture et la profondeur de l'émotion qui se dégage de ses textes
sont pour moi les fils tendus vers les corps des interprètes et l'âme de ce
projet. Je conçois le spectacle non comme une adaptation du roman de
Maissa Bey , mais comme un de ses prolongements. L’adaptation sera la
rencontre entre les envies de Christophe Martin et les miennes, à la croisée
aussi de nos cultures et de nos chemins respectifs.
Cette adaptation, tel que nous la concevons, me paraît très riche en
possibilités d'exploration théâtrale.
Depuis toujours, mon travail associe le jeu théâtral à la danse, quelquefois au chant et à la musique. Avec Frédéric Cellé et Larbi Bastam, nous attacherons donc un intérêt tout particulier à accentuer notre travail sur le mouvement, la musique et les chants.
Partant du principe que ce spectacle reposera avant tout sur la
performance des interprètes présents sur le plateau, ma mise en scène va
consister dans une extrême simplicité des moyens scéniques mis en
oeuvres, à faire vraiment entendre la poétique contenue dans les différentes
étapes de la reconstitution de la mémoire d’un peuple.
Nous avons aussi l’intention de travailler avec un musicien qui composera
la musique et l’interprètera sur scène, créant un dialogue avec les
comédiens.
Kheireddine Lardjam
26 février 2008
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